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Ambre Kahan s’enivre poétiquement des mots de Viripaev

Confinée à Lyon aux Célestins, Ambre Kahan profite pour peaufiner son adaptation de Ivres du russe Ivan Viripaev.

Confinée à Lyon avec son équipe, après avoir pu répéter au Quai à Angers, et faute de pouvoir présenter sa création au public en raison des réglementations sanitaires en vigueur, Ambre Kahan profite de ce temps suspendu pour peaufiner avec générosité et ingéniosité, son adaptation de Ivres du russe Ivan Viripaev. Un spectacle choral qui devrait voir le jour aux célestins en 2021. 

Le soleil brille sur la capitale des Gaules. De la Gare Perrache au théâtre des Célestins, il y a une petite trotte. L’air est frais, les rues sont désertes, les commerces pour la plupart fermés. Le peu de passants croisés sont masqués. L’ambiance est bien étrange en ce jeudi après-midi. Devant le théâtre aux portes closes, quelques badauds promènent leur animal de compagnie. Difficile de s’imaginer que derrière les murs de cette grande bâtisse imaginée en 1877 par l’architecte Gaspard André, un monde grouille, une troupe répète sous le regard bienveillant de la directrice des lieux, Claudia Stavisky. Attristée bien que consciente de l’intérêt général, elle se console en permettant aux artistes de continuer à travailler, à faire vivre le théâtre. 

Une plongée dans l’ivresse
Ivres d'Ivan Viripaev. Mise en scène d'Ambre Kahan. Monica Budde et Jean Aloïs Belbachir. Célestins - théâtre de Lyon. © OFGDA

La salle est plongée dans le noir. Sur scène, Monica Budde entonne de sa voix grave, chaude, dont le grain envoûtant semble un mélange entre Patti Smith et Charlotte GainsbourgDie Welt Ging Unter am Zürich See bei 30 Grad im Schatten. L’ambiance, bien que studieuse, semble suspendue. Un parfum charmant d’antan flotte dans les airs. De son regard précis, Ambre Kahan suit la scène, prend des notes. Captivée par ce moment délicat, ce tableau où la chanteuse contemple avec envie, presque désir, le corps dénudé d’une femme plus jeune, elle se laisse embarquer. Filmée, la séquence est reprise. La metteuse en scène vient de dispenser avec beaucoup de douceur ses derniers conseils et faire quelques petites corrections. Perfectionniste, elle travaille chaque geste, chaque posture au cordeau. 

Une œuvre particulièrement complexe
Ivres d'Ivan Viripaev. Mise en scène d'Ambre Kahan. Magali Genoud. Célestins - théâtre de Lyon. © OFGDA

Plus habituée à l’écriture de plateau, au travail de compilation de matières différentes, qu’elles soient musicales, textuelles ou poétiques afin de les faire se rencontrer sur scène, c’est la première fois qu’Ambre Kahan s’attaque à une œuvre existante. « Je ne connaissais ni Viripaev, ni ses pièces, avoue-t-elle avec modestie et malice. C’est mon amoureux, le comédien Jean Aloïs Belbachir, qui m’a fait découvrir ce texte particulier, Ivres. J’ai tout de suite été séduite par son énergie, par la multiplicité des personnes qu’il renferme, par cette humanité riche, variée qui se dessine derrière les mots et par les registres différents de langue qui le compose. Par ailleurs, j’ai été très sensible à la manière dont Viripaev aborde le rapport aux autres et au monde. Sa manière très singulière de parler de foi, de religion à un endroit – un enterrement de vie de garçon passablement arrosé – où on ne l’attend pas. »

Une complicité aux plateaux
Ivres d'Ivan Viripaev. Mise en scène d'Ambre Kahan. Julie Bouriche. Célestins - théâtre de Lyon. © OFGDA

Pour ce projet très ambitieux, auquel elle travaille depuis plus de quatre ans, Ambre Kahan a réuni, autour d’elle 14 comédiens venant d’univers très différents, mais qu’elle connaît bien pour avoir travaillé avec eux, ou pour les avoir croisés à des moments très particuliers de sa vie. Du coup, ce lien fort qu’elle entretient avec eux, cette connivence tangible, palpable, se ressent immédiatement. Enveloppante, douce, la metteuse en scène n’a pas besoin de forcer la voix pour se faire entendre, comprendre. Elle écoute avec beaucoup de bienveillance les remarques de ses interprètes. Elle les rassure, tout en gardant son objectif, sa ligne directrice. Puis avant le tout premier filage de la pièce, elle chuchote ses dernières recommandations Tout parait si simple, si facile. 

Une adaptation toute en nuance
Ivres d'Ivan Viripaev. Mise en scène d'Ambre Kahan. Yorick Adjal. Célestins - théâtre de Lyon. © OFGDA

Faute d’avoir pu tout monter, le covid a eu raison d’un certain nombre de jours de répétitions – toute l’équipe a dû être testée pour pouvoir reprendre le chemin du plateau – , Ambre Kahan tenait à ce premier filage, bien que parcellaire, afin d’avoir une vision d’ensemble du travail. La salle replonge dans le noir. Les tableaux s’enchaînent, tous très différents, très ciselés. De son poste d’observation, elle scrute les détails, note ses réflexions sur un carnet qu’elle a toujours avec elle. Contrairement au parti pris de Clément Poirée, il y a un peu plus de deux ans, la jeune femme ne s’attache pas tant à l’ébriété des personnages, mais bien à l’enivrement qu’apporte les mots, la langue, l’urgence de s’exprimer qui s’en dégage. « Avoir pu rencontré en Russie Ivan Viripaev, raconte-t-elle, m’a permis de mieux appréhender son écriture, son travail. C’était d’autant plus important que la langue qu’il utilise dans ce texte est le Mat, un argot russe qui est interdit dans l’espace public par la loi. Il y a une vraie dichotomie dans ce pays, dont il se nourrit dans son œuvre. Utilisé cet idiome, qui abolit les codes sociaux et les frontières entre les classes, est donc très transgressif. »

Un moment suspendu 
Ivres d'Ivan Viripaev. Mise en scène d'Ambre Kahan. Laurent Meininger et Charlotte Ravinet. Célestins - théâtre de Lyon. © OFGDA

Jouer, monter sur scène en plein confinement, pourrait paraître incongru, bien au contraire, c’est un moment privilégié, que les quatre présents, chérissent précieusement. Préparer le futur est une nécessité, qu’Ambre Kahan utilise à profit. La jeune femme à l’art de l’image, des ruptures du style. Offrant aux comédiennes de belles envolées musicales, elle donne corps et chair à l’œuvre singulière de Viripaev. Elle fait vibrer la prose du russe mâtinée de cette âme slave, si chaleureuse, si mélancolique. 

Totalement charmé, ensorcelé par cette partition délicate autant que chamarrée, on se laisse emporté par l’ivresse de ce texte incandescent, par la justesse de cette mise en scène toute en nuance. L’eau à la bouche, on repart avec l’envie de revenir au plus vite découvrir enfin la pièce montée. 

Olivier Frégaville-Gratian d’Amore – Envoyé spécial à Lyon

Ivres d’Ivan Viripaev
Répétitions
Célestins – Théâtre de Lyon
4 rue Charles Dullin
69002 Lyon

Mise en scène d’Ambre Kahan
Avec Yorick Adjal, Blade AliMBaye, Jean Aloïs Belbachir, Julie Bouriche, Jean-Baptiste Cognet, Monica Budde, Lucile Delzenne, Olivier Dupuy, Florent Favier, Magali Genoud, Laurent Meininger, Charlotte Ravinet, Tristan Rothhut, Laurent Sauvage et Laure Werckmann

Crédit photos © OFGDA

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