Après plus de six mois sans représentation, le Théâtre national de Chaillot rouvre ses portes avec un Don Juan revisité par la nouvelle coqueluche de la danse contemporaine, Johan Inger. S’attaquant aux mythes du séducteur, le chorégraphe suédois signe une pièce narrative dont la force réside tout particulièrement dans la technicité et la complicité des danseurs de la compagnie italienne Aterballetto.
Don Juan est un épicurien, un hédoniste, un noceur. Il ferait n’importe quoi pour obtenir le fruit de ses désirs sexuels. Préférant les femmes qu’il trousse sans vergogne, il ne dédaigne pas les amours masculines. Manipulateur, roublard, il n’a cure de leurs sentiments, seule la jouissance de son corps lui importe. Non qu’il ne rêve pas à l’idéal amoureux, mais il refuse les chaînes.
Pyschanalyse d’un mythe
En questionnant l’essence même de qui est Don Juan, Johan Inger, ancien directeur du Ballet Cullberg et chorégraphe associé au Nederlands Dans Theater, entraine les seize interprètes de la compagnie Aterballetto sur le chemin de crête entre consentement, harcèlement et jeu de dupes. Mais voilà le mythe à la peau dure, les femmes abusées se révoltent certes mais sans grande conviction, laissant notre grand dadais se débattre avec ses fantômes, ses désirs. Hanté par la mort de sa mère, qui revient en commandeur bien décidée à remettre de l’ordre dans la vie de son fils, à prendre sous son aile noire toutes les amantes déçues, les amoureux transis, Don juan se laisse emporter dans le tourbillon funeste de ses vices.
Récit d’une vie de débauche
S’inspirant des pièces de Tirso de Molina et de Molière, le dramaturge Gregor Acuna-Pohl fait du littéral. De sa conception due à un viol à sa mort, il conte les aventures de Don Juan, ses amours, ses coups d’un soir. Les femmes défilent, aimées le temps du coït, puis abandonnées à leurs chimères, à leur honte, à leur déception. Portées par l’écriture chorégraphique qui leur fait la part belle, les danseuses illuminent la scène. Mouvements larges, arabesques, volutes, elles impulsent au ballet énergie et grâce.
Danses de groupe
Sculptés par les magnifiques clairs obscurs de Fabiana Piccioli, les seize interprètes habitent l’espace et donnent vie à la prose foisonnante de Johan Inger. Pas de deux, grands sauts, mouvements chaloupés, la grammaire du chorégraphe, teintée de l’influence néoclassique de son maître Mats Ek et fusionnant hardiment les styles, se déploie avec ingéniosité et intensité. D’une tarentelle matinée d’inspiration « bollywoodienne » à un bal masqué où contemporain et folklore se conjugue, c’est clairement dans les scènes de groupe que le talent de conteur du suédois se révèle nettement.
Son meringué
Omniprésente, la musique, en manque cruel de nuances, bien qu’inspirée de Gluck, pourrait étouffer l’ensemble, le rendre indigeste. Il n’en est heureusement rien, les tableaux imaginés par Johan Inger, la puissance narrative de sa danse, emportent l’adhésion du public. La magie opère. Ce Don Juan-là marque donc le beau retour à Paris d’Aterballetto, qui n’y avait pas mis les pieds depuis 2008.
Olivier Frégaville-Gratian d’Amore
Don Juan de Johan Inger
Chaillot – Théâtre national de la danse
1 place du trocadéro
75016 Paris
Jusqu’au 17 octobre 2020
durée 1h30
Chorégraphie de Johan Inger assisté d’Yvan Dubreuil
Musique de Marc Álvarez
Dramaturgie de Gregor Acuña-Pohl
Scénographie de Curt Allen Wilmer (AAPEE) avec EstudiodeDos
Costumes de Bregje Van Balen
Lumières de Fabiana Piccioli
avec 16 danseurs de la Compagnie Aterballetto : Saul Daniele Ardillo, Philippe Kratz, Ina Lesnakowski, Estelle Bovay ,Giulio Pighini, Serena Vinzio, Martina Forioso, Ivana Mastroviti, Adrien Delépine, Arianna Kob ,Clément Haenen, Sandra Salietti Aguilera, Roberto Tedesco,,Hélias Tur-Dorvault, Minouche Van De Ven et Thomas Van De Ven
Crédit photos © Nadir Bonazzi