Au Centre culturel Jacques Tati d’Amiens, avant d’investir le théâtre de l’Epée de bois en novembre, Olivier Mellor et sa Compagnie du Berger montent La Noce de Bertolt Brecht. Une farce caustique où le rire se fait grinçant.
Brecht a tout juste vingt ans lorsqu’il écrit cette pièce. L’idée lui est venue en entendant quelqu’un raconter un mariage auquel il était invité. son récit ne porte que sur le repas, comme quelque chose d’ordinaire. Le dramaturge allemand se demande ce qui se serait passé si quelque chose avait déréglé cet instant qui ne devrait être que joie et bonheur. En ces années d’après Première Guerre mondiale, l’Allemagne est confrontée à une crise économique terrible. Il faut reconstruire, alors Brecht va tout déconstruire dans sa pièce.
Danse des pantins
C’est une petite noce, qui se passe à la maison, avec juste quelques invités, et un petit orchestre. Tout est réuni pour que cela se passe bien. Du côté de la mariée, il y a le père qui égraine des histoires, la petite sœur qui ne désire que s’amuser, la meilleure amie à la langue de vipère et son cocu désabusé de mari. Du côté du marié, il y a la mère, possessive et jalouse de sa bru, le meilleur ami au dangereux sens de l’humour. Et il y a le jeune homme, qui s’avère être le fils des anciens domestiques, et qui regarde d’un air amusé ces pantins qui se démènent dans ce monde de petits bourgeois.
Le mariage entre guerre et paix
La fierté des jeunes époux sont les meubles de la maison que le marié à construit de ses propres mains. Même la colle, c’est lui qui l’a faite ! Par économie, parce que l’on n’est jamais mieux servi que par soit même, et par amour de l’ébénisterie ! Au fil de la noce, l’alcool aidant, tout va se déglinguer, les meubles, les conversations et les règles morales. Après le départ des invités, constatant le désastre, les tourtereaux vont se déchirés (dans les deux sens du terme, se soûler et s’engueuler) et se réconcilier en détruisant le lit nuptial, niant ainsi l’ordre moral qui était jusqu’à ce jour l’unique objet de leurs efforts.
Une douce folie
Le metteur en scène Olivier Mellor, qui signe également l’excellente scénographie, a opté pour le ton burlesque, qui peut faire songer à celui de Karl Valentin. Car La noce est une farce dans laquelle Brecht se moque de la bêtise, de l’hypocrisie et de la morale. Les personnages portent le grimage blanc des pantins, à chacun son masque, selon sa personnalité et sa place dans la société. Très beau travail de Karine Prodon. Les costumes de Bertrand Sachy soulignent l’aspect clownesque de la situation.
Une bande de clowns épatants
Chacun des comédiens de la compagnie a su installer son personnage, trouvant en lui un clown. Tels les amoureux de Peynet, Emmanuel Bordier et Fanny Badelsdent forment un bien joli couple. Rémi Pous, cloué sur son fauteuil roulant, incarne à travers le père, l’homme du passé qui radote ses vieilles histoires pour s’accrocher à la vie. Empruntant son caractère à un personnage de commedia dell’arte, la mère silencieuse, épatante Françoise Gazio, s’active au fourneau tout montrant sa désapprobation par des gestes tour à tour brusques ou tendres. En grand échalas, portant la bêtise comme un étendard, François Decayeux joue l’ivresse avec panache. Marie-Béatrice Dardenne, parfaite en femme désabusée et snob, et Stephan Szelkely, en cocu magnifique, nous ont régalé par leurs prestations, tout comme Marie-Laure Boggio dans le personnage de la petite sœur, adolescente mal dégourdie. Dans le rôle du jeune homme, spectateur de la noce, Denis Verbecelte, tout en délicatesse, ressemble comme un petit frère à Brecht.
Et si, en ce soir de première, le rythme était, au début, un peu mou, il trouve tout son bon tempo quand les éléments du décor se mettent à s’écrouler et que chacun des personnages perd pieds. Et l’on assiste à ce jeu de massacre avec un grand plaisir.
Marie-Céline Nivière
La Noce de Bertolt brecht
Centre culturel Jacques Tati d’Amiens
Rue du 8 mai 1945
80090 Amiens
jusqu’au 13 octobre 2020
Durée 1h20
Tournée
du 12 au 29 novembre à L’Epée de Bois, Cartoucherie Paris 12ème
le 4 décembre 2020 au Rollmops Théâtre, Boulogne-sur-Mer
Mise en scène d’Olivier Mellor
Traduction de Magali Rigaill
Avec Fanny Balesdent, Marie-Laure Boggio, Emmanuel Bordier, Marie-Béatrice Dardenne, François Decayeux, Françoise Gazio, Rémi Pous, Stephan Szekely, Denis Verbecelte, et les musiciens Séverin Toskano Jeanniard, Romain Dubois, Oliver Mellor
Scénographie d’Olivier Mellor, François Decayeux, Séverin Toskano Jenniard, avec le concours du Collectif La courte Echelle
Son de Séverin Jenniard
Lumière d’Olivier Mellor
Costumes de Bertrand Sachy
Maquillages de Karine Prodon
Crédit photos © Ludo Leleu