Dans le cadre des Singulis de la Comédie-Française, Didier Sandre s’empare d’un texte très intime de Paul Claudel, écrit à l’aube de ses cinquante ans. Construit comme une messe, cette confession, ce bilan de vie touche par sa force poétique, par l’interprétation toute en délicatesse du nouveau sociétaire du Français.
Trois paravents de toile crème, trois tabourets de bois sculpté, quelques lumières tamisées est le Studio-Comédie se transforme en confessionnal. Délicatement à pas feutrés, Didier Sandre, costume noir élégant, pieds nus, entre en scène comme en religion. De son regard bleu azur, il contemple le lieu, fait face aux spectateurs. Une fois bien installé, sa voix, si reconnaissable, si envoûtante, s’empare de la langue de Claudel, en souligne les beautés poétiques, les accents mélancoliques et les envolées spirituelles voire mystiques.
Bilan d’une vie
Quand le récit commence, on est en 1917. La Première Guerre mondiale ravage l’Europe. Loin du champ de bataille, de sa famille, Paul Claudel vient d’être nommé ambassadeur au Brésil. A presque cinquante ans, sur cette terre luxuriante, qui lui est inconnu, le dramaturge s’enferme dans ses pensées, revisite sa vie. Croyant, il puise au plus profond de lui, réveille ses vieilles blessures et se livre sans compromission. Plume enlevée, ciselée, il construit cette confession à la manière d’une liturgie expiatoire, d’une messe. Les mots, libérés de leur trop long silence, coulent à flot, bercent et tentent d’emporter sur leur passage tourments et peines. C’est un appel au pardon, un cri salvateur, une manière d’exorciser ses démons.
Autoportrait sans fard
Se glissant avec empathie et infinie douceur dans l’écriture de Claudel, Didier Sandre esquisse le souffle d’une vie, donne accès avec une incroyable intensité et fluidité à ce texte dense, riche, sombre. Abordant sa fascination pour Rimbaud, l’enfant adultérin qu’il a abandonné, né de ses amours avec l’héroïne du Partage de midi, sa foi éprouvée mais toujours intacte, le dramaturge français laisse entrevoir dans ce maelstrom de souvenirs, de réflexions, son âme, son lui-intérieur. Il dessine en creux son portrait psychologique.
Sandre double de Claudel
Suivant les méandres de l’esprit enflammé de Claudel, ses ruptures, ses élans, ses passions, ses tristesses, Didier Sandre se fait porte-parole de l’auteur du Soulier de Satin. Suivant les grandes étapes de la messe – les termes de la liturgie s’inscrivent en lettres lumineuses au-dessus de la scène, : offertoire, consécration… – , tout juste ponctuées de la musique imaginée par Othman Louati l’homme fait face à dieu, l’acteur à l’un de ses écrivains préférés.
Peu importe finalement nos propres croyances, grâce à l’extraordinaire talent et à la lumineuse prestance du comédien, on entre dans la prose de Claudel, qui peut Parfois rebutée, laissée à l’écart, avec confiance, voire ferveur.
Olivier Frégaville-Gratian d’Amore
La messe là-bas de Paul Claudel
Singulus
Studio Comédie
Comédie-Française
Carrousel du Louvre
99, rue de Rivoli
75001 Paris
Jusqu’au 11 octobre 2020
Durée 1h05
Conception et interprétation de Didier Sandre
Lumière de Bertrand Couderc
Musique originale d’Othman Louati
Collaboration artistique d’Éric Ruf
Crédit photos © Brigitte Enguerand, Coll. Comédie-Française