Jean-Paul Montanari. Montpellier Danse. © Ch.Ruiz

Jean-Paul Montanari, l’insubmersible directeur de Montpellier Danse

Pluie, pandémie, rien n’arrête Jean-Paul Montanari, directeur de Montpellier Danse. Depuis 40 ans, maintenant, il est l'âme du festival.

Pluie, pandémie, rien n’arrête le directeur de Montpellier Danse. Depuis 40 ans, maintenant, Jean-Paul Montanari tient fermement les rênes du festival. Au cœur de l’Agora, son centre névralgique, il revient sur l’ADN de cette manifestation qui a fait de Montpellier, une capitale internationale de la danse. Grand Entretien. 

Qu’est-ce qui vous a donné l’envie, la force de maintenir cette quarantième édition, malgré les circonstances exceptionnelles ? 
Jean-Paul Morandini. Montpellier Danse. © Ch. Ruiz

Jean-Paul Montanari : C’était une évidence immédiate. D’autant plus que, et beaucoup de gens ont du mal à saisir, Montpellier Danse n’est pas uniquement un grand festival estival, c’est beaucoup plus. C’est du travail tout au long de l’année, des recherches de financement, de partenariats, la gestion du public et de professionnels. Mais c’est aussi une programmation sur la saison, que l’on construit en collaboration avec l’Opéra, le théâtre universitaire de la Vignette, avec le Centre chorégraphique et le Centre dramatique. Sachant cela, en mars quand nous avons compris qu’il n’y aurait pas de quarantième édition en juin, nous avons très vite commencé à réfléchir à une autre solution. Il faut comprendre que Montpellier Danse est réellement profondément implanté dans la ville depuis 40 ans. Il y a une vraie complicité entre l’ensemble des structures culturelles. Nous nous voyons et réunissons souvent afin de donner à ces programmations danse leur ampleur, leur richesse. Une fois cela posé, logiquement, nous avons contacté tous nos partenaires pour voir ce qui était envisageable, ne pas tout stopper net, mais imaginer un festival à l’automne. Tous ont répondu présents et nous ont proposé un certain nombre de dates permettant d’accueillir quelques-uns des spectacles que nous avions programmés. Valérie Chevalier, directrice de l’Opéra de Montpellier, a déplacé des concerts. Nathalie Garraud et Olivier Saccomano, co-directeurs du Théâtre des Treize Vents, s’exilent dans leur studio de répétition et nous prêtent leur plateau une semaine. Petit à petit, on a fini par trouver plusieurs créneaux allant de septembre à décembre et ainsi proposer une édition « bis ». 

Comment s’est construite cette édition bis ? 
So schnell de Dominique Bagouet. Recréation de Catherine Legrand. Montpellier Danse. Jean-Paul Morandini. © C. Ablain

Jean-Paul Montanari : Nous avons rappelé toutes les compagnies prévues en juin, pour voir comment elles pouvaient s’insérer dans ce nouveau planning. On a essayé et cela a marché. Tout le monde a joué le jeu. Au final, seul 25 % des spectacles n’ont pu être reportés. C’est notamment le cas de la Batsheva qui, jusqu’à nouvel ordre, ne peut sortir d’Israël. Ohad Naharin et ses danseurs seront bien sûr des nôtres en 2021. Bouchra Ouizguen, dont la création était prévue pour s’inscrire aussi dans le Festival de Vienne et le Kunstfestivaldesarts, a préféré renoncer à une sortie en saison et a repoussé d’un an sa présentation publique pour qu’elle soit montrée dans les trois manifestations à la suite. Quant à Fabrice Ramalingom, son spectacle devait réunir sur scène un grand nombre de danseurs ce qui, dans les conditions sanitaires actuelles, était impossible. Nous devions aussi présenter cinq pièces de la Canadienne Daina Ashbee, mais il me semblait impensable de la faire venir de si loin pour quelques dates et si peu de spectateurs. Puis, une fois le programme imprimé, Sharon Eyal a annoncé qu’elle annulait sa tournée européenne d’octobre et Robyn Orlin nous prévenait qu’elle n’avait jamais réussi à prendre un avion pour répéter à Johannesburg. Malgré tout, l’édition 40 bis est là. Elle s’est ouverte le 20 septembre avec la recréation de So Schnell de Dominique Bagouet par Catherine Legrand et se poursuit notamment le week-end du 2 octobre avec la création de LOVETRAIN2020 d’Emanuel Gat qui a travaillé tout l’été ici à l’Agora pour être prêt. 

En raison des reports, l’ordre des pièces n’est plus le même, changeant de facto la programmation…
Jean-Paul Morandini. Montpellier Danse.

Jean-Paul Montanari : En raison des conditions sanitaires, tout s’est imposé sans que vraiment nous ne soyons décisionnaires. A dire vrai et pour être totalement honnête, nous sommes très heureux d’avoir pu faire ce report, mais il n’y a plus de festival en tant que tel, il n’y a plus sa dramaturgie. Quand nous construisons une programmation sur quinze jours, nous faisons très attention à l’articulation des pièces et des compagnies les unes avec les autres. Les thématiques, les styles se répondent. C’est un vrai travail, qui prend beaucoup de temps. Il y a une manière de présenter les différentes œuvres, les lieux qui les accueillent. Tout cela a littéralement volé en éclats. Nous avons donc effectué un sauvetage tout en faisant en sorte de montrer, de la meilleure façon qui soit, les artistes et les pièces chorégraphiques et d’accueillir au mieux le public tout en respectant les règles sanitaires, la distanciation physique. Le festival 40, tel que je l’avais pensé pour cet anniversaire particulier, n’existe pas et n’existera jamais. 

Qu’est-ce que cela représente pour vous de recréer 30 ans après So Schnell de Dominique Bagouet, l’un des fondateurs du festival ? 
Moments of Young People. Raimund Hoghe. montpellier danse. Jean paul Montanari. © Rosa Franck

Jean-Paul Montanari : Cette pièce est bien évidemment l’une des pierres angulaires de ce quarantième anniversaire de Montpellier Danse. L’intention que nous avions de voir et revoir des pièces et des artistes qui ont fait l’histoire du festival, faisait partie de la dramaturgie de cette 40e édition. Il était important de percevoir comment le regard des uns et des autres revenait sur des œuvres du passé, comment elles résonnaient dans le monde d’aujourd’hui. Le projet d’inviter chacun des directeurs qui ont fait du centre chorégraphique de Montpellier ce qu’il est aujourd’hui pour présenter une pièce, Dominique BagouetMathilde Monnier et Christian Rizzofaisaient partie d’une des pistes de lecture de notre programmation. Par ailleurs, avec So Schnell remonté par Catherine Legrand et Moments of Young People de Raimund Hoghe, il y avait aussi l’idée de revisiter une écriture, une pièce chorégraphique qui avait été créée il y a longtemps, de la faire revivre dans un autre temps, une autre époque. Un hasard heureux a voulu que la pièce Bagouet, et ce, malgré l’orage qui a décalé d’un jour la première, fasse l’ouverture de cette édition 40 bis. En tant que survivante, si j’ose dire, et grande interprète de l’artiste montpelliérain décédé en 1992, Catherine Legrand est retournée à l’essence même de l’œuvre, son écriture. Pour ceux qui ont connu l’époque Bagouet, nombreux savent que quand elle entrait en scène, elle représentait le double du chorégraphe. Elle était son corps quand il ne dansait pas, et donc celle qui, dans sa chair, dans son travail, savait qui était réellement Dominique Bagouet et connaissait parfaitement son univers, sa grammaire et son vocabulaire. Elle était donc la mieux placée pour reprendre et revisiter son œuvre. Elle a fait un travail formidable, une relecture d’une grande finesse qui permet d’appréhender So Schnell, sa construction, de la meilleure manière qui soit.

Quarante ans que le festival existe. Vous avez toujours cette gourmandise, cette curiosité à entremêler habilement jeunes artistes et chorégraphes confirmés faisant des programmations riches et éclectiques ? 
LOVETRAIN2020 d'Emmanuel Gat. Montpellier Danse. Jean-Paul Montanari. © Julia Gat

Jean-Paul Montanari : Je crois que c’est, en effet, de la gourmandise, une sorte de principe, de besoin vital, de secret de fabrication. Tout ce que je sais, c’est que cela a toujours été ainsi. Il y a dans ce qui me motive et me permet d’avancer, un souci des différents publics, de les séduire, en leur offrant de grandes formes, mais aussi des œuvres plus confidentielles, du travail de recherche pure. Il est donc important de trouver les pièces les plus intéressantes, les créateurs les plus fascinants dans les différentes catégories qui composent la danse dans son sens le plus large. Par ailleurs, il est important de penser « salle ». On ne programme pas la même chose au Corum qu’au Théâtre la Vignette. Par ailleurs, il y a aussi tous les jeunes chorégraphes qui nous sollicitent et dont il est important de découvrir le travail avant de pouvoir les programmer. Il y a surtout les artistes que l’on suit, comme Emanuel GatRaimund Hoghe ou Bouchra Ouizguen notammentQuand ils ont une création, ils s’adressent à nous. Ils savent qu’ils ont un public. C’est une grande spécificité de Montpellier Danse, nous avons ici des publics très attachés à certains artistes et qui les suivent fidèlement dans le temps. C’est un peu tout cela qui fait l’esprit unique du festival. 

Comment faites-vous pour débusquer de nouveaux talents ? 
Folia de Mourad Merzouki. Montpellier Danse. Jean-Paul Montanari. © Julia cherri.

Jean-Paul Montanari : Honnêtement, je ne sais pas. Il n’y a pas d’école. Ça ne s’explique pas. Depuis tout jeune, j’ai cet instinct. J’ai cette capacité en moi de sentir l’importance de telle ou telle proposition artistique. Par exemple, je vais à Madagascar, c’était fin des années 1980, à l’époque on se réunissait beaucoup autour de la danse africaine grâce à l’AFAA, je pose mes bagages à l’hôtel, je vais à l’Institut français récupérer quelques documents, je vois des gens répétés dans la salle de spectacle, je me glisse dans un coin et observe, je suis totalement sidéré par ce que je vois. Dès la répétition terminée, je fonce sur la chorégraphe pour l’inviter à la prochaine édition de Montpellier Danse. C’était Robyn Orlin. Je vais au FTA à Montréal, je découvre le travail de Dana Michel. Je l’invite dans la foulée. Il en va de même pour Bouchra Ouizguen, dont j’ai vu à Marrakech le travail préparatoire à sa première création. C’était fascinant. Elle était en train d’expliquer à ses interprètes, des belles filles travaillant dans un cabaret, comment, dans son esprit, relier les traditions féminines de l’art avec la modernité d’aujourd’hui. Je crois que ma grande force, c’est de ne jamais douter de mon intuition. Une fois que j’ai été attrapé, que je suis convaincu par une proposition, je fonce. Mon désir est tellement fort, il est le moteur de ce que je suis, qu’il emporte l’adhésion. Les portes s’ouvrent, les gens suivent. 

Voyagez -vous beaucoup pour aller à la rencontre de ces jeunes créateurs ? 
Canine jaunâtre 3 de Marlene Monteiro Freitas. Montpellier Danse. Jean-Paul Montanari © Batsheva Dance Company

Jean-Paul Montanari : En effet. Et c’est d’ailleurs un problème majeur en vue de la programmation pour 2022. En raison de la pandémie, il est très difficile de circuler d’un pays à l’autre, d’aller à la rencontre des artistes. N’allant pas tous azimuts, je me concentre sur quelques spots, où je sais qu’il y a de belles choses en devenir, que je peux prendre le pouls des tendances de demain. Je vais donc régulièrement à Montréal, car je fais confiance au Festival TransAmérique que dirige Martin Faucher. Nos goûts sont assez proches. Je me rends aussi souvent à Tel-Aviv, car il y a longtemps que j’ai senti et proclamé que la danse israélienne était une grande danse et que Ohad Naharin était un très grand chorégraphe qui entraîne derrière lui toute une nouvelle génération de créateurs. Enfin, je séjourne aussi à Marrakech, c’est un lieu de rencontre entre le sud et le nord, entre l’Europe et l’Afrique sub-saharienne. 

Est-ce que le festival et vous ne partagez pas finalement un même ADN ? 
Dominique Bagouet. Montpellier Danse. Jean-Paul Montanari © Marc Ginot

Jean-Paul Montanari : Certainement. Il y a quelque chose de l’ordre de l’identité, de la filiation. Quand on a lancé le festival, il y a 40 ans avec Dominique Bagouet et Georges Frêche, on avait un projet en tête assez précis. Je crois que je suis arrivé enfin là où nous souhaitons emmener Montpellier Danse. On est à la fin d’un cycle, d’une époque. Maintenant, nous devons aller vers l’avenir, tenter peut-être d’autres choses. 

Que peut-on vous souhaitez pour les prochaines années ? 

Jean-Paul Montanari : Bonne question (Rires). Comme vous le dites, je suis tellement Montpellier Danse, que je ne peux pas imaginer ma vie sans ce festival. Il fait partie de moi. Je pense, je dors, je vis pour la danse, pour Montpellier Danse. J’ai encore du mal à m’en détacher, même si de ce côté-là, je commence à faire quelques progrès.

Entretien réalisé par Olivier Frégaville-Gratian d’Amore – Envoyé spécial à Montpellier

Montpellier Danse 40 bis

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