Dirigé par l’allemand Thomas Ostermeier, l’auteur de 27 ans, Édouard Louis, passe de l’ombre à la lumière. Sur la scène des Abbesses, il livre avec une sincérité empruntée mais attachante son mal-être, les rapports complexes à son père, son combat politique. Une introspection sensible qui manque quelque peu de corps, de chair !
Habillé d’un sweet à capuche gris, regard rivé sur son écran d’ordinateur, Édouard Louis attend impassible que le public s’installe, que la salle plonge dans le noir. Réfléchit-il au prochain chapitre de son autofiction, à une autre pièce, ou tout simplement à son père, cet homme qu’il croyait haïr ? Nul ne le sait. Le jeune homme à la silhouette gracile ne bouge pas un cil. Il est ailleurs.
Vit sa vie
Derrière lui, défilent les images d’une autoroute, celle qui mène vers le nord de la France, qui le ramène vers son enfance, vers la nouvelle maison de son père. Il fait gris. Il grelotte. Les retrouvailles sont toujours étranges dans cette famille handicapée des sentiments. L’amour est là tapi derrière les reproches, les inimités, les querelles, mais rarement se montre. Les rapports sont froids, cliniques, en apparence tout au moins. Bridé, Édouard Louis adepte du « Je », se met en retrait de sa propre histoire. Il semble éteint, comme s’il voulait tenir à distance ses vieux démons, ne pas replonger au cœur des rapports trop conflictuels qu’il entretenait jusqu’à peu avec son paternel. Blessures d’enfance, d’adolescence encore à vif, la résilience suit lentement son cours.
Pop salvatrice
Entremêlant passé et présent, distordant le temps, le jeune auteur cherche dans le moindre regard, la moindre parole de son père, une approbation, un geste d’amour. Son mal-être perceptible et sa sensibilité à fleur de peau offrent de beaux moments. On se laisse attraper, toucher, mais c’est dans l’extravagance, le lâcher-prise, qu’Édouard Louis fait des étincelles. Impayable en fausse Britney Spears, en Céline Dion vent debout à la proue du Titanic, il revisite avec dérision Barbie Girl d’Aqua. Vrai, nature, il se libère du poids de cette virilité, de cette masculinité à outrance que sa famille a tant voulu lui imposer, et qu’il n’a jamais voulu assimiler.
Une mise en espace esquissée
Attaché à son écriture autant qu’à sa personnalité engagée, Thomas Ostermeier laisse Édouard Louis s’exposer sur scène comme dans ses livres, sans fard. Il ne cherche pas à contraindre sa parole, à en déplacer l’endroit. A la limite du non-jeu, la performance perd parfois en profondeur ce qu’elle gagne en sincérité. Reprenant le texte qu’il avait écrit à la demande de Stanislas Nordey, le jeune auteur livre son regard engagé sur le monde, sur la société. Sa prose séduit les uns, agace les autres. Son épilogue, véritable diatribe contre la funeste politique sociale des gouvernements successifs de ces vingt dernières années, est un peu trop manichéen pour totalement convaincre.
Transfuge de classe, luttant sans cesse contre le système de castes, défendant les opprimés contre les dominants, Édouard Louis ne laisse personne indifférent. Conquis le public des Abbesses applaudit à tout rompre. Toutefois, pour ce qui ont eu la chance de voir l’étape de travail en février dernier, il est difficile de se départir d’un léger goût d’inachevé, d’une pointe de déception. Moins retenu, plus vibrant, le jeune comédien y était tellement plus vibrant. Dommage !
Olivier Frégaville-Gratian d’Amore
Qui a tué mon père d’Édouard Louis
Théâtre de la Ville – Les Abbesses
1 Rue des Abbesses
75018 Paris
Jusqu’au 26 septembre 2020
Du lundi au samedi 20h00
Durée 1h25 environ
Mise en espace de Thomas Ostermeier
Avec Édouard Louis
Scénographie de Nina Wetzel
Vidéo de Sébastien Dupouey & Marie Sanchez
Musique de Sylvain Jacques
Dramaturgie de Florian Borchmeyer
Lumière d’Erich Schneider
Costumes de Caroline Tavernier
Dramaturgie d’Elisa Leroy
Crédit photos © Jean Louis Fernandez