Loin des velléités profondément satiriques et cyniques du roman fleuve d’Octave Mirbeau, Philippe Honoré signe une adaptation légère, écourtée et décalée du Journal d’une femme de chambre. Si le texte gagne en modernité, il perd un peu en fluidité. Le jeu malicieux et savoureux de Florence Le Corre-Person fait très vite oublier ses petites imperfections, tant elle compose avec malice une galerie de personnages pittoresques allant de la soubrette indocile à la maîtresse suspicieuse. Séduit par la simplicité et l’humour de la mise en scène de Philippe Person, on se laisse facilement embarquer dans les confidences lubriques, sulfureuses et tragi-comiques de cette soubrette des temps modernes, même si la dimension tragique de l’œuvre est estompée.
L’argument : Nous sommes dans les années 1970. Célestine, ancienne femme de chambre, vient de publier son journal. C’est lors d’une rencontre avec ses lecteurs qu’elle dévoile avec humour et franchise les petits et grands travers des patrons qu’elle a servis, mais aussi d’encombrants secrets et de fracassantes révélations.
La critique : Après la fade et trop fidèle adaptation cinématographique de Benoît Jacquot et l’ interprétation peu convaincante de Léa Seydoux, Philippe Honoré et Philippe Person s’emparent du texte d’Octave Mirbeau et le transposent dans un monde plus moderne, bien loin de la bourgeoisie oisive de l’ère industrielle du XIXe siècle.
Mai 68 est passé par là. On est en 1974, peu de temps avant l’élection présidentielle qui verra Valéry Giscard d’Estaing accéder au pouvoir suprême. Célestine est une rousse flamboyante et faussement réservée. Elle vient de publier son journal intime qui raconte sa vie aux services des autres. Sulfureux et scandaleux, le récit est un best-seller. Devant le succès en librairie, la jeune femme est invitée sur les plateaux de télévision. A l’occasion d’une interview, elle est amenée à revivre certains épisodes marquants de sa vie.
L’accent traînant, le visage souriant, l’air naïf et ingénu, l’ancienne femme de chambre joue avec les mots et décrit avec malice les travers de ses contemporains. Si, dans un premier temps, sa présence dans un talk-show paraît presque incongrue, très vite, son image de fille rangée et timide s’effrite. Plus elle avance dans le récit de ses aventures, plus sa personnalité s’affirme et son vrai visage de femme ambitieuse apparaît.
Florence Le Corre-Person qui prête ses traits à cette soubrette facétieuse et narquoise, s’amuse beaucoup et se délecte à imiter les différents personnages qui émaillent son récit, de la bourgeoise de province imbue d’elle-même et de son importance, en passant pas la parisienne avare et odieuse. Chacune d’entre elles prend vie, grâce aux talents de la comédienne. Face à elle, Philippe Person, le metteur en scène de ce spectacle, incarne avec beaucoup de plaisir les différents hommes de sa vie : le chauffeur et amant, le patron libidineux, et le voisin égrillard.
Avouons-le, le plaisir voyeuriste de découvrir les travers de la bourgeoisie par le petit trou de la serrure n’est pas étranger à notre engouement pour le texte d’Octave Mirbeau. Toutefois notre curiosité n’est pas totalement assouvie. Loin de s’atteler à une adaptation fidèle au roman, trop complexe à mettre en scène, Philippe Honoré et Philippe Person ont préféré traiter le sujet de manière décalée, en écrivant une pièce de théâtre au ton délibérément tragi-comique. Les saynètes se succèdent, alternant monologues intimistes, soliloques au ton humoristique, sarcastique, et dialogues burlesques à tendance caricaturale. Les répliques font mouche, les rires fusent. Le moment est clairement agréable. Pourtant, on ressort légèrement frustré. Malgré l’excellente et implicite affiche de François Damville, le texte a été expurgé de sa dimension érotique et sulfureuse. Le personnage ambigu de Célestine, oscillant entre ambition et revanche sociale, perd en épaisseur. La dramaturgie ainsi que la critique acerbe de la bourgeoisie, classe dominante cruelle et perverse de la Belle Epoque, est clairement altérée. Il reste toutefois du roman éponyme une galerie de portraits hauts en couleurs, qui fait le sel de cette sympathique adaptation et permet de donner l’envie de découvrir l’œuvre cynique et sombre d’Octave Mirbeau… Une belle gageure.
Le Journal d’une femme de chambre d’Octave Mirbeau
théâtre Le Lucernaire
Du 29 août au 31 octobre 2015
Du mardi au samedi à 18h30
Durée : 1h05
Librement adapté par Philippe Honoré
Mise en scène : Philippe Person
Avec : Florence Le Corre-Person et Philippe Person