Au coeur de la forêt de Vincennes, à de la Tempête, le metteur en scène Clément Poirée et l’autrice Emmanuelle Bayamack-Tam partent À l’abordage ! du Triomphe de l’Amour de Marivaux. Ancrant l’œuvre du dramaturge français dans le monde d’aujourd’hui, il signe un spectacle original et jubilatoire.
Clément Poirée a commandé à Emmanuelle Bayamack-Tam, une réécriture de la pièce de Marivaux, Le triomphe de l’amour. Cela semble sur le papier bien présomptueux ! Et bien l’autrice s’est remarquablement sortie de cet exercice de style et nous propose une pièce tout à fait personnelle et contemporaine. S’appuyant sur la trame, les grands axes, s’échappant des codes du XVIIIe siècle, elle nous plonge dans un XXIe siècle tourmenté, féministe et soucieux de l’environnement. Afin de profiter au mieux du spectacle choral, de se laisser emporter par les passions dévorantes, les émois de l’amour, il est conseillé d’oublier le texte originel.
L’amour plus fort que la raison
Sasha (épatante Louise Grimberg) est une adorable jeune fille . Pugnace, volontaire, elle sait parfaitement ce qu’elle veut et surtout comment l’obtenir. Fougueuse, à l’esprit vif, Elle s’est entichée au premier regard d’un tout jeune homme, Ayden (délicat David Guez), qu’elle a croisé lors d’une de ses promenades en forêt. Passionnée, elle jette son dévolu sur lui. Il sera son amant, son âme sœur. un point c’es tout. Mais voilà, il vit dans une communauté où l’amour est proscrit. Déguisé en garçon, avec l’aide de son amie Carlie (espiègle Elsa Guedj), elle va infiltrer cette société secrète, qui vit en vase clos. Jouant avec les sentiments des uns et des autres, elle va semer le désordre, s’empêtrer dans ses ruses. Il faut au moins cela pour faire triompher l’amour.
Deux mondes qui s’opposent
Emmanuelle Bayamack-Tam met en opposition deux visions de la société. D’un côté, le monde qui se dit libre, qui aime la vie, l’amour, ancré dans la modernité et les réalités de son époque. Tous les espoirs y sont permis. De l’autre, la peur de l’étranger, de la différence domine. Tout y est confiné, les sentiments autant que les êtres. Et oui ! La pièce, écrite avant ce drôle de printemps que nous venons de vivre, a été rattrapée par l’actualité ! Dans cette secte, dirigée par le charismatique Kinbote (étonnant Buron Blairet), on fuit les ondes magnétiques, les smartphones, les gens de l’extérieur. On se protège de tout. Il n’y a pas de place pour la modernité, trop dangereuse. Il faut s’immuniser contre l’amour, ce virus qui détruit l’âme et vous anéantit. Mais, il n’a pas fallu grand chose pour que les membres de la communauté (impayable Sandy Boizard, inénarrable François Charly et méconnaissable Joseph Fourez, formidables tous les trois) comprennent que l’herbe est plus verte de l’autre côté. Il faut vivre et non subir.
Une valse désopilante des sentiments
Le combat entre ces deux visions du monde est la facture réjouissance de ce texte, dont le style est acéré et plein d’humour. La mise en scène virevoltante de Clément Poirée est très réussie. Il a placé le plateau au centre du théâtre, installant les spectateurs tout autour. C’est un ring, joliment entouré de rideaux blancs qui suggèrent les cordes. La scénographie fonctionne très bien. Mené par une troupe excellente, c’est un tourbillon dans lequel on se laisse emporter joyeusement.
Marie-Céline Nivière
À l’abordage d’Emmanuelle Bayamack-Tam
D’après Le Triomphe de l’amour de Marivaux
Théâtre de la Tempête
Cartoucherie, rue du Champ-de-Manœuvre 75012 Paris
Jusqu’au 18 octobre 2020
Du mardi au samedi 20h, dimanche 16h
Durée 2h20
Mise en scène de Clément Poirée assisté de Pauline Labib-Lamour
Avec Bruno Blairet, Sandy Boizard, François Charly, Joseph Fourez, Louise Grimberg, Elsa Guedj, David Guez
Scénographie d’Ewan Creff
Lumières de Guillaume Tesson
Costumes d’Hanna Sjödin
Musique et sons de Stéphanie Gibert
Crédit photos © Morgane Delfosse