Après un été consacré à la remise en marche du lieu et à des résidences, le ThéâtredelaCité à Toulouse se prépare à rouvrir ses portes dès la mi-octobre. Stéphane Gil, son directeur délégué, porté par le désir des spectateurs de revenir au théâtre, revient sur le confinement et parle d’avenir.
Après le confinement du printemps dernier, comment s’est passé la réouverture du théâtre ?
Stéphane Gil : Nous avons fait les choses très progressivement. En toutpremier lieu, nous avons souhaité nous reconnecter au monde en réactivant la relation aux spectateurs, via une hotline. C’était un moyen, pour nous, de ranimer un lien que le confinement avait distancié, mais aussi de pouvoir parler d’avenir, de sonder leurs attentes pour la rentrée. J’ai été surpris, mais ce souffle d’humanité retrouvé, a agi comme un déclencheur. Cela m’a permis de me projeter vers l’avenir, d’imaginer la saison 20/21, de réorganiser son lancement rapidement.
En parallèle, avec Galin (Stoev), nous avons tourné un film d’une petite heure annonçant la programmation à venir. On s’est amusé à faire la présentation de chaque spectacle comme on aurait dû le faire devant le public. Concrètement, il est composé de petites vignettes vidéos, agrémentées et complétées d’images envoyées par les artistes, que ce soient de photographies, des montages ou des teasers. Afin d’enrichir l’objet et de permettre à chaque internaute la possibilité de se réapproprier les lieux, chacune des séquences a été tournée dans un lieu différent du théâtre, en y mettant des objets provenant de décor ou des éléments de machinerie. Mise en ligne officiellement le 22 juin, cette annonce de saison, un peu particulière, a été cruciale pour les équipes, ainsi que pour le public. Elle est l’une des étapes qui a permis d’envisager de manière un peu plus optimiste l’avenir. C’était, pour nous, une manière de donner rendez-vous en octobre prochain et de faire acte d’un certain volontarisme face à cette situation inédite.
Y-a-t-il eu comme dans d’autres CDN des résidences d’artistes ?
Stéphane Gil : A Toulouse, le contexte était singulier. Il était prévu de longue date que le théâtre ferme ses portes de la mi-juin à la mi-septembre pour des travaux de remise aux normes. En raison de la crise sanitaire, tout a été gelé et mis à l’arrêt. Du coup, on a décidé de lancer un appel à projets auprès des compagnies de la région Occitanie pour qu’elles puissent obtenir une bourse de résidence au ThéâtredelaCité, afin de réfléchir autour de l’action artistique et culturelle. Le concept est simple. Nous avons proposé à des équipes, sans aucun enjeu de diffusion ou de production, de travailler une ou deux semaines dans une de nos salles de spectacle, afin d’imaginer un atelier de recherche et d’écriture autour des nouveaux modes opératoires, des nouvelles envies, des nouveaux désirs et des nouvelles contraintes de la relation qu’aurait les artistes au public et au non-public. En tout, il y a eu 70 candidatures. On devait retenir quatre projets, finalement nous en avons retenu huit. Du 15 juin au 11 juillet dernier, les compagnies choisies ont (re)donné vie au théâtre tout en questionnant leurs pratiques, leurs manières de travailler, d’aller vers les autres. Tout cela devait bien évidemment prendre en compte la situation de pandémie que nous traversons.
Qu’en est-il du recrutement de l’AtelierCité, la troupe éphémère du CDN, qui devait avoir lieu au printemps ?
Stéphane Gil : Cela n’a pas été aussi simple que les autres années. Nous n’avons pas pu organiser en présentiel les auditions à Paris, Bordeaux et Montpellier. Nous sommes donc passés par le système de visioconférence. En tout, nous avions reçu plus de 300 candidatures, dont un peu plus de la moitié ont passé l’entretien vidéo. Début juillet, nous avons toutefois pu mettre en place le stage probatoire d’une durée de cinq jours, qui se tient au théâtre. Seule une vingtaine d’artistes ont été invités. Suite à cela, Galin (Stoev) et Guillaume Séverac-Schmitz, qui mettra en scène Tartuffe de Molière avec cette troupe au mois de décembre, ont retenu sept comédiens et un metteur en scène.
Comment avez-vous imaginé la saison 20/21 ?
Stéphane Gil : La majeur partie de la programmation était établie dès le mois de janvier 2020. Toutefois, nous avions treize projets entre le mois de mars et juin 2020. En concertation avec les équipes, nous avons décidé d’en reporter cinq sur la saison à venir. Pour les autres, nous avons pris en charge directement les prix de cession. Quant à l’unique production que nous avions au printemps, elle n’a pu être jouée. C’était la pièce de Georg Büchner, Léonce et Léna, une création de Galin (Stoev) avec la troupe du Théâtre de Meiningen.
Afin de pouvoir tout présenter, que ce soit les spectacles déjà programmés et ceux que qui ont été décalés, nous avons joué comme tous les autres théâtres à Tetris® en mordant notamment sur les vacances scolaires.
Après, à part la jauge à 50 %, et afin de rester optimiste, on part sur une saison que l’on va dire classique. En novembre, nous accueillons la troupe de Tiago Rodriguez, qui crée chez nous Catarina et la beauté de tuer des fascistes.J’avoue ne pas mettre posé la question que du fait que ce soit une compagnie étrangère, il y ait des risques d’annulation. Je crois que nous verrons bien. Après, ce sera blanc ou noir. Nous nous adapterons. L’important, c’est d’avoir le soutien des équipes du théâtre, des artistes et du public. C’est le souffle qu’il nous faut pour aller de l’avant.
Est-ce que cette crise a changé votre regard sur votre métier ?
Stéphane Gil : Bien Évidemment. On ne peut pas traverser un moment pareil, sans être impacté. Déjà, sur la région toulousaine, nous avons constaté l’importante solidarité qui est née entre les différents acteurs culturels de la métropole. C’est devenu un élément fondamental dans notre manière de travailler, d’avancer. Maintenant, le faisons ensemble. C’est d’une part nécessaire vu le contexte, mais c’est aussi essentiel dans nos relations aux autres. Ensuite, je dirais que le confinement m’a aussi fait prendre conscience de l’impact Carbone de mes pratiques. Il m’arrivait souvent de faire des aller-retours en train, en avion pour un rendez-vous, pour voir un spectacle. Grace au système de visioconférence, je n’ai rien perdu en fréquence et en qualité de l’échange avec les artistes. Il n’y a certes pas le contact physique, mais on développe d’autres liens. Bien évidemment, il faut continuer à bouger, à aller vers les autres, à voir du théâtre, mais peut-être faut-il le faire de manière plus raisonnée.
Je crois aussi que notre regard sur le spectacle vivant doit changer. Je suis un des premiers à dire qu’il n’y a, certes, pas trop de compagnies, mais il y a beaucoup trop de projets. Il est important de décélérer. Pour transformer cela en acte, il faut donner plus de vitalité et de longévité aux spectacles que l’on décide de soutenir. Il est donc important d’accompagner les compagnies sur du long terme, de leur fournir une aide encore plus solide et d’ancrer leur travail sur plusieurs saisons. On doit redonner aux œuvres leur part artistique et ne plus les penser comme des produits culturels. J’étais un des premiers à appuyer sur le champignon. J’ai changé mon regard, mon point de vue.
Dans ce contexte singulier, que faut-il vous souhaiter pour cette saison 20/21 ?
Stéphane Gil : J’aimerais qu’on gardetous, au sein de l’équipe cette agilité, ce désir, qui pour moi, nous a caractérisés tout le long du confinement et au début du déconfinement. C’est-à-dire que tout ce qui prend du temps en période normale, nous avons su et pu le faire beaucoup plus rapidement. Face à la contrainte, c’est très encourageant de se dire que l’on continue à être vivant, à faire du spectacle. On a su s’adapter, modifier, refaire avec célérité et simplicité. Il a toujours été clair, pour nous que ce n’est pas parce que le lieu ne peut accueillir du public que nous arrêterons le théâtre. C’est tout bonnement impensable. Nous trouverons toujours des moyens de faire du spectacle, d’aider les artistes, de leur permettre de travailler, de faire de la recherche. Le théâtre, le spectacle vivant a une multitude d’activités, qui vont du jeu à l‘écriture en passant par le travail au plateau, la mise en scène, la construction des décors. Tout cela peut continuer à exister, encore et toujours. Il faut nous souhaiter d’avoir toujours à cœur notre métier, de maintenir la flamme, l’engagement.
Entretien réalisé par Olivier Frégaville-Gratian d’Amore
Crédit photos © Maud Wallet, © Pedro Macedo, © Guillaume Séverac-Schmitz et © Maroussia Krol