Situé non loin de la mer méditerranée, le Théâtre Molière de Sète, Scène nationale archipel de Thau sort lentement de sa torpeur en ce début d’été. Sa directrice, la passionnée Sandrine Mini s’attèle à remettre le lieu en état de marche pour une réouverture prévue le 18 septembre prochain. Une saison à venir résolument féministe et engagée.
Le confinement a-t-il changé votre regard sur le théâtre ?
Sandrine Mini : Je dirais plutôt que cela à confirmer des choses, des idées que j’avais déjà en moi depuis un moment. Je crois que nous ne pouvons plus continuer à faire du spectacle vivant de cette manière. Cette fuite en avant permanente, cette course à la nouveauté, cette pression permanente sur les équipes artistiques de devoir créer tous les deux ans, ne va pas dans le bon sens. Nous assistons depuis plusieurs années à un engorgement des théâtres, que la mise en arrêt de nos maisons a mis en exergue. En parallèle, en discutant avec les metteurs en scène, les comédiens, nous nous sommes aussi aperçus de leur difficulté à rééchelonner dans le temps leur échéance, leur nouveau planning. Face à ce constat, et pour éviter d’aller dans le mur, nous nous devons de réagir ensemble pour allonger tout cela, permettre qu’une œuvre ne soit plus considérée comme un produit manufacturé, mais bien une création artistique. Nous devrons à l’avenir certainement mieux préparer en amont les dossiers de productions, les contraintes techniques en lien avec les structures, les compagnies. Ensemble, nous devrons aussi mettre en place des périodes de recherche plus longues, leur permettre de laisser leur projet se reposer, grandir et murir. Il n’y pas de honte à prendre le temps. Je crois que c’est l’un des principaux messages que l’on peut tirer de cette crise.
C’est en tout cas ce que je n’ai cessé de répéter à mes équipes quand elles me demandaient ce que nous allions présenter à l’automne. Nous n’arrêtions pas de faire et refaire la programmation. A un moment, il a fallu dire stop. Il était urgent d’attendre pour éviter de s’épuiser.
Qu’en est-il de la saison à venir ?
Sandrine Mini : Aux vues des dernières données scientifiques et des évolutions constantes en ce domaine, j’ai fait le pari de ne pas prévoir de saison bis. Je trouvais important de rester engager avec les artistes que nous avions pressentis pour l’année théâtrale à venir. Leur situation étant déjà suffisamment fragile et complexe, je ne voulais pas les laisser encore plus dans l’incertitude. Évidemment, comme tous mes confrères, je suis inquiète quant aux questions de jauge en fonction des projets. A court terme, cela peut mettre à mal nos modèles économiques et ceci même si nous sommes subventionnés. Au-delà de ça, être masqué dans une salle à un mètre de distance les uns des autres, remet en cause la définition même de ce que sont nos métiers artistiques, partager, célébrer un art et être ensemble. Heureusement, que cinémas, parcs de loisirs, qui ont peut-être mieux réussi à se faire entendre, notamment autour de la destruction massive d’emplois, vont permettre d’avancer dans le bon sens et pouvoir rouvrir nos lieux quasiment normalement à l’automne. On l’espère bien sûr, même si nous sommes tous conscients que la santé de tous passe avant tout.
L’emploi est-il la clé du combat pour être audible des tutelles ?
Sandrine Mini : Je crois que oui. Nous n’avons pas su avancer l’argument de la perte d’emploi dans notre secteur. Bien que nous soyons subventionnés, elle est tout aussi réelle que dans les autres domaines de la culture et des loisirs. Chaque jour qui passe où nos théâtres sont fermés, où les festivals sont annulés, engendre aussi de la destruction d’emploi, que ce soit pour les intermittents, mais aussi pour les professions annexes, tels que les loueurs de matériel. Je suis intimement persuadée que quand le spectacle vivant et la culture en général seront en capacité de parler d’une seule voix et que nous serons comme des pourvoyeurs d’emplois, nous serons plus visibles et qu’on nous entendra. Il ne faut pas qu’on oublie que pour les pouvoirs publics, et tout particulièrement après cette crise sans précédent, ce levier sera le plus important. En Occitanie, nous avons la chance d’avoir été très solidaires les uns des autres. De vrais dialogues ont été mis en place entre les différentes structures, ainsi qu’avec nos partenaires principaux. Du coup, il y a eu une vraie écoute. L’avenir budgétaire de nos maisons reste incertain d’autant que les signaux pour une aide à la reprise, après cette période d’arrêt total, ne sont pas encore au rendez-vous, tout particulièrement au niveau de l’état. Nous devrons certainement faire face pour les deux prochains exercices à des baisses de subvention sous couvert de solidarité. Heureusement, nous sommes très soutenus et accompagnés par notre principal financier qui est Sète Agglopôle Méditerranée, qui nous a toujours écouté, et tout particulièrement durant cette étrange période, avec beaucoup d’intérêt et de bienveillance.
Comment se passe la reprise ?
Sandrine Mini : Le théâtre a rouvert ce qui nous a permis fin juin de présenter lors d’une soirée dédiée les travaux de trois compagnies actuellement en résidence, dont la montpelliéraine Julie Benegmos qui prépare pour la rentrée une installation théâtralisé autour du striptease. Par ailleurs, d’ici la rentrée automnale, nous aurons dans nos locaux et dans ceux de nos partenaires sur le territoire sétois, pas moins de sept compagnies en répétition, dont la jeune compagnie de danse Mendragore qui finalise un solo d’une vingtaine de minutes. Et nous sommes en train d’organiser pour le 18 septembre une grande fête pour annoncer le lancement de saison et l’ouverture de la billetterie. En parallèle, nous travaillons à des projets vidéos, notamment pour deux spectacles – Cannes Trente-neuf Quatre-vingt-dix d’Etienne Gaudillère et Encore la vie du Collectif Petit travers, artiste associé depuis 2018 avec le TMS – que nous avons en production délégué, mais que l’on a pas pu présenter. Afin que la mise à l’arrêt brutal que nous avons subi ne soit pas que perte, nous utilisons le temps présent pour créer une mise en bouche, pour inventer une nouvelle forme de « teaser » qui donnera envie aux spectateurs, mais aussi aux programmateurs, aux diffuseurs, aux journalistes de découvrir ces œuvres, qui n’ont pas pu prendre leur envol.
En septembre nous aurons dans nos murs Magali Montoya, qui prépare un spectacle autour de la figure de Jean Rhys, une autrice anglaise née aux Antilles et Claire Diterzi que nous accueillons dans le cadre d’un tout nouveau dispositif. Elle sera durant deux ans notre compositrice en résidence et créera ici son prochain opéra contemporain qui aura pour sujet Annie, la fille d’Anna Karénine. En parallèle, grâce à ses formes transportables, ses concerts à table, elle sera très présente sur le territoire. Le jeune artiste perpignanais Walid Ben Selim du groupe N3rdistan débutera les préparatifs de son prochain spectacle participatif autour de la poésie soufi. Avec le concours des élèves du conservatoire, il aura la dure tâche de clôturer la saison en juin 2021. Et enfin, Félicie Artaud viendra parachever sa dernière création qui revisite le Petit Poucet en questionnant notamment la différence et l’autisme. On revient donc très vite dans la création. Et c’est une très bonne chose.
Comment se présente la saison prochaine ?
Sandrine Mini : Au cours de l’année, nous devrions accueillir pas moins de 59 propositions différentes dont 40 % sont portées par des femmes, et 16 sont des spectacles jeune public dans le cadre de notre Pôle enfant jeunesse et 24 spectacles qui sont proposés en décentralisation sur l’ensemble du bassin de Thau. Sur les 160 levers de rideau, une centaine le seront hors nos murs, dont Anguille sous roche d’Ali Zamir, mis en scène par Guillaume Barbot. Cela montre comment notre saison s’articule sur l’ensemble du territoire. En tout, 26 créations verront le jour au TMS l’an prochain, si tout va bien et si le virus ne fait pas de résurgence. Par ailleurs, nous sommes très présents dans l’aide à la production pour les compagnies, ainsi que dans des dispositifs permettant un meilleur soutient des jeunes artistes. Ce qui explique que nous ayons autant de nouveaux spectacles dans notre programmation, notamment au sein d’un collectif autour de la création jeunesse.
En parallèle de ça, nous travaillons avec un grand nombre d’artistes associés comme le Collectif Petit travers, Claire Diterzi, Nasser Djemaï que nous accompagnons à différents endroits.
Par ailleurs, chaque année nous avons en début de saison, en novembre, un temps fort consacré à un pays du bassin méditerranéen. Après l’Italie et l’Espagne, avec Yallah Yallah ! nous nous tournons vers le Maghreb, avec notamment le Groupe Acrobatique de Tanger et leur dernière création qui est un spectacle haut en couleurs et très énergique. Nous espérons que tout cela pourra se faire.
Une autre chose importante, quand je construis la saison, je suis différentes thématiques, différents fils rouges. Le plus souvent, c‘est inconscient. Mais j’ai besoin de donner un sens à ce que nous faisons d’autant que nous sommes pluridisciplinaires. Cette année, en filigrane, il se dégage tout une thématique autour des différentes figures de la féminité. C’est d’autant plus fascinant qu’avec la crise, on a pu voir que les femmes avaient une place centrale dans nos vies. Quelles soient infirmières, caissières, elles ont été à pieds d’œuvre pour faire tourner le pays dans des métiers où la pénibilité est importante. C’est dans cette veine que s’inscrit la création d’Alessandro Barrico, Smith & Wesson, qui dresse le portrait d’une aventurière ; Royan de Marie Ndiaye, mise en scène par Frédéric Bélier-Garcia pour sa mère Nicole Garcia, où une enseignante se trouve confronter à la mort d’une de ses élèves ; Féminines de Pauline Bureau ; La prochaine création de Marc Lainé, Nosztalgia Express, sur une homme en recherche de mère ; Electre des Bas-Fonds de Simon Abkarian, dont le regard sur les figures féminines de la mythologie est d’une rare intelligence.