Fraichement arrivé à la tête du CDN d’Angers Pays de Loire, Thomas Jolly a fait face avec panache au confinement en jouant Shakespeare sur son balcon. Loin de s’arrêter en si bon chemin, il lance après des mois de silence « assourdissant », un été théâtral et festif. Au programme, spectacles modulables, théâtre de plein air et accueil de troupes locales !
Est-ce que le confinement a modifié votre regard sur le théâtre ?
Thomas Jolly : Arrivé en Janvier au CDN, j’ai dû prospecter très vite pour mettre en place la saison 2020-2021. Quand le gouvernement a décidé de fermer les théâtres et d’imposer le confinement à tous, je n’avais pas encore finalisé la programmation, contrairement à beaucoup de mes collègues. C’est une chance, je crois. Cela m’a permis de rebondir très vite, de trouver des solutions de repli ou de report.
Cela pose quand même la question de la temporalité de ces maisons, qui pour moi est assez antinomique avec l’art qu’on est censé y défendre. Le théâtre est l’art de l’ici et de maintenant, c’est ce que l’on nous répète dans les cours d’art dramatique. Et pourtant, dans notre manière, de gérer ces grands établissements, nous allons à l’encontre de ce principe. Non par volonté, bien évidemment, mais le rythme nous est imposé par la façon de penser le théâtre comme un produit manufacturé. La covid a mis cela à jour.
Nouveaux outils de communication, nouvelle façon de venir au théâtre, nouvelles envies de la jeune génération bousculent les codes. Peut-être que nous entrons dans une ère de l’immédiateté, qui va nous imposer de réfléchir autrement, à plus court terme.
L’été va passer, les théâtres vont rouvrir. Mais il y aura un temps où il faudra se poser les vraies questions pour l’avenir de nos institutions.
Comment avez-vous vécu ce moment suspendu ?
Thomas Jolly : C’est très singulier de se dire, que finalement j’ai dirigé plus longtemps un théâtre vide de public, qu’un lieu plein de vie et de spectacles. Depuis mon arrivée au 1er janvier, tout est allé très vite. Avec mes équipes, nous étions en train de préparer ardemment la saison prochaine quand l’annonce de la fermeture de tous les lieux publics est tombée. J’avoue avoir été désemparé, sonné par l’ampleur de la pandémie, et par le fait que ce petit virus mettait à mal ce qui fait l’ADN de nos métiers, rassembler le plus grand nombre de gens devant des œuvres d’art. C’est très perturbant d’entendre un ministre dire de manière très abrupte que finalement l’établissement dont j’ai pris la charge, n’est pas essentiel à la nation. Forcément, la première réaction est un moment de désarroi profond, même si j’ai parfaitement compris le sens du propos, qui n’avait rien en soi de négatif. Peu de temps après, une semaine environ, étant empêché de monter sur scène, avec une sorte d’énergie du désespoir, j’ai décidé d’interpréter sur mon balcon une célèbre scène de Roméo et Juliette. Et là, il y a eu déclic. En jouant, j’ai mesuré ce qui se passait. Mes voisins et voisines sont sortis sur leurs balcons, à leurs fenêtres et ont assisté à ce spectacle impromptu. J’ai senti l’envie de partager, de faire travailler nos imaginaires. J’ai ressenti immédiatement quelques chose de rassurant et d’apaisant. Et puis cela a été l’occasion de faire connaissance avec mes voisins, que je ne connaissais pas. Et, grâce aux réseaux sociaux, la machine s’est quelque peu emballée, mettant en exergue finalement l’essence de nos métiers. J’ai tout de suite compris que c’était à cet endroit, en prenant bien sûr les contraintes sanitaires imposées par nos tutelles, que l’on devait chercher les solutions pour remettre en marche le théâtre. C’est ainsi qu’est née l’idée d’imaginer avec mon équipe des spectacles corona-compatibles. Au-delà de l’élément de langage, c’est à partir de là que nous avons retrouvé la capacité de travail, de projection et de construction. Tout étant très changeant, mouvant, il me semblait important de faire avec ce que l’on savait à ce moment-là, plutôt que d’être dans l’attente. Ce fut le point de départ de la saison estivale, Quai l’été.
Comment s’est-elle construite ?
Thomas Jolly : En temps normal, il se passe beaucoup de choses à Angers, l’été. Du Festival d’Anjou au festival des arts de la rue Les Accroche- cœurs, en passant par le festival de musique Temporives… mais tout a été annulé. Il apparaissait qu’Angers ne connaitrait aucun événement de culture partagée pendant 7 mois. C’est pour cette raison surtout, qu’a été pensé Quai l’été. C’est la première fois en trente ans, que le CDN ouvre ses portes en juillet et août et propose une programmation. Nous allons donc tester.
Ensuite, cela m’a fait penser à ce que j’ai fantasmé ou imaginé de ce qu’avait pu être le tout début de la décentralisation dans les années 1950-1960. A l’époque, ces metteurs en scène, comme Jean Vilar, Hubert Gignoux ou Jean Dasté, et leurs équipes, qu’il ne faut pas oublier, ont dû inventer ce qui est notre profession aujourd’hui, ce théâtre qui faisait cas des réalités économiques et sociales des territoires. J’ai donc souhaité m’inspirer de cela et travailler à petite échelle en pensant spectacles légers et mobiles. C’était aussi l’occasion de revenir aux petites formes qui ont toujours été présentes dans mon œuvre à côté de pièces plus importantes, plus imposantes. Moins visibles, elles sont dans la veine ce que j’avais fait à Avignon en 2016 avec Le Ciel, la Nuit et la Pierre glorieuse.
Il était important pour moi d’apporter trois réponses à la crise, par l’art, quels textes allions nous mettre en lumière, par la reprise des activités, pour dynamiser l’emploi des artistes et techniciens qui voyaient s’annuler tous leurs contrats, et pour les publics, leur offrir un été culturel. A partir de là, avec les équipes du Quai, on a contacté les compagnies locales, cherché les théâtres de verdure régionaux et les espaces pouvant accueillir des scénographies mobiles. Certains artistes nous ont contacté aussi afin de participer à ce que nous étions en train de mettre en œuvre. Suite à tout cela, nous avons sélectionné quinze spectacles, dont 10 sont initiés par des artistes régionaux et six sont des créations.
Vous avez aussi décidé de participer à l’aventure…
Thomas Jolly : Ce n’était pas spécialement prévu. Mais j’ai saisi l’occasion pour monter un des spectacles de ma boîte imaginaire. J’ai en effet dans un coin de mon esprit, un espace où je range les textes que j’aime, qui font naître en moi un désir. J’attends juste le moment propice pour passer du rêve à la réalité. Dans cette besace, j’avais La Nuit de madame Lucienne de Copi. Dans le contexte actuel, je trouvais que c’était le bon moment pour monter cette pièce, qui relate l’histoire d’une actrice, d’un auteur et d’un machiniste qui profitent de la nuit pour répéter dans un théâtre vide. Pour le coup, j’en avais un sous la main. Et puis, le dramaturge argentin fait ici l’hommage, mais aussi le saccage, de ce qu’est la création théâtrale. Pour la réouverture du Quai, je trouvais assez joli de poser cette œuvre singulière et mordante sur le plateau qui interroge ce qu’est l’acte de création. La première est le 15 juillet. Et le spectacle sera joué jusqu’au 30 août.
Est-ce que vous y jouez dedans ?
Thomas Jolly : non. Par contre, j’ai fait revenir plutôt que prévu les comédiens de la compagnie du Quai, qui ne sont autres que mes anciens camarades de la Piccola Familia. Ils vont tous participer à cette parenthèse théâtrale de Quai l’été. Cette aventure va durer jusqu’à la toussaint. Ensuite, démarrera la saison 2020-2021, que j’annoncerai en septembre, et qui courra jusqu’à juin. Après avoir imaginé je ne sais combien de scénarios, j’ai décidé d’être prudent et de garder une marge de manœuvre au cas où il y aurait une seconde vague.
Avez-vous une autre création prévue l’an prochain ?
Thomas Jolly : Je n’avais pas prévu de mettre en scène un nouveau spectacle. Maintenant, il y a Le Copi. Mais je préfère cette première année me concentrer sur le Quai et proposer certaines de mes autres créations qui ont été peu jouées ici, Un jardin de silence et Arlequin poli par l’amour de Marivaux.
Entretien réalisé par Olivier Fregaville-Gratian d’Amore
Crédit photos © Wilfried Thierry, © Architecture Studio, © DR et © Thomas Joubard