Touché par la Covid, dès le début du confinement, Arnaud Meunier a vécu les premiers jours de cette crise sanitaire en quatorzaine. Loin de se reposer, le directeur de la Comédie de Saint-Etienne s’est rapidement projeté dans l’après. Multipliant les scénarii, il imagine un demain où il sera à nouveau possible de retrouver le chemin des plateaux et d’accueillir du public dans l’ancienne friche industrielle, qu’il a investie avec ses équipes en 2017.
Comment avez-vous vécu la fermeture des théâtres ?
Arnaud Meunier : J’ai en effet fait partie des premiers malades. Ce qui n’a pas été simple à vivre. J’avais un théâtre à fermer, des artistes, des administratifs et des techniciens abasourdis à faire vivre, avec la crainte de surcroît d’avoir potentiellement contaminé mes collaborateurs. Coup de bol, a priori, ça n’a pas été le cas. Je suis le seul, avec deux élèves de l’école de La Comédie, avec lesquels je n’avais pas eu de contact récent, à avoir développé les symptômes, fièvre, fatigue extrême, toux, etc. En raison de la gravité de la situation pour le théâtre, je n’ai eu d’autres choix que de gérer les urgences. En moins de trois jours, du 13 au 16 mars, nous avons baissé le rideau, organisé le télétravail, quand c’était possible, et mis au chômage partiel les autres employés. Nous avons réglé les factures, trouvé des solutions pour payer les salaires de tout le monde, y compris les équipes dont nous avons dû annuler les représentations.
Dans ce marasme, nous avions un petit avantage, si on peut dire cela, le Candide de Voltaire que j’ai créé en novembre dernier, était en tournée à Lons-le-Saulnier, puis à Colmar, et Le Conte de Noël d’Arnaud Despleschin, mis en scène par Julie Deliquet, spectacle dont nous sommes coproducteur, devait se jouer à Lorient, deux régions touchées très tôt par l’épidémie, ce qui nous a permis d’anticiper quelque peu les choses et ainsi de réfléchir s’il était judicieux de faire jouer la clause de force majeure afin d’éviter la catastrophe économique qui se profilait avec l’annulation en cascade des pièces et la fermetures des salles. Très vite, avec les autres directeurs de CDN et de scènes nationales, nous nous sommes rendus compte que cela pénaliserait les équipes et nous avons donc plaider pour surtout ne pas nous en servir. Notre objectif était double protéger nos maisons bien sûr mais aussi soutenir les compagnies dont les spectacles ne pourraient être représentés. L’important était de pouvoir payer tout le monde.
Comment s’est passé ce mois et demi de confinement ?
Arnaud Meunier : Faute d’une vraie visibilité, nous avions l’espoir de rouvrir les théâtres, courant mai, au pire en juin. Nous avons donc commencé à élaborer conjointement avec les artistes différentes hypothèses en décalant certains spectacles, en reportant à la saison prochaine d’autres. Très vite, on a réalisé que le confinement et la crise allaient s’installer dans le temps. Il était donc nécessaire de repenser autrement. Par ailleurs, il était nécessaire de maintenir le lien avec le public et de continuer à faire que la Comédie existe. Toutefois, il était important aussi de ne pas se précipiter et de prendre le temps de réfléchir. Très tôt, nous avons décidé d’écarter le recours à la mise à disposition de captation. A mon sens, on ne peut pas remplacer un spectacle vivant par de la vidéo. Par contre, nous avions la conviction qu’il fallait produire des contenus originaux, nous adapter à la situation en changeant nos pratiques. D’autre part, il était aussi vital de continuer à faire travailler nos élèves, de poursuivre la formation pédagogique. Cela fait partie de nos missions. C’est ainsi que nous avons mis en place la web série Clémence cavale / construire un moulin. Le contenu numérique a été travaillé avec les professeurs et les élèves, qui ont utilisé caméra et smartphone pour continuer à interagir. En parallèle, nous avons commencé à réfléchir à ce que pourrait être une sortie d’école en temps de Covid. Cette année, c’est la promo ayant pour marraine Julie Deliquet qui devait présenter un spectacle de fin de cycle. Nous sommes en train de lui préparer une surprise. Pour l’instant, je ne peux en dire plus.
Par ailleurs, La Comédie s’est associée avec La Colline. Tous nos artistes, tous ceux qui devaient présenter des spectacles au printemps, ont participé au projet de Wajdi Mouawad, « Au creux de l’oreille », qui consistait durant le confinement à lire des textes des poèmes à des inconnus qui appelaient le théâtre parisien.
Émilie Anna Maillet, qui avait créé en janvier sa pièce Toute nue, où elle entremêlait des textes de Feydeau et de Lars Norén, nous a proposés un jeu de rôle à travers des textes du répertoire que nous avons ouverts aux spectateurs à travers un blog. Nous avons aussi continué à être présent auprès des établissements scolaires et leur fournissant tout le matériel vidéo nécessaire pour les travaux qu’ils avaient en cours avec leurs élèves.
Nous avons été finalement très actifs, confinés chez nous. Grâce à ce contenu inédit que nous avons partagé, nous avons pu mesurer ô combien le public était an rendez-vous. Il était demandeur et nous a témoigné beaucoup d’amour et de soutien en cette période très compliquée.
Maintenant que la France se déconfine, qu’en est-il du théâtre ?
Arnaud Meunier : On travaille pas mal en réseau avec les autres CDN. L’aCDN, association qui regroupe l’ensemble des 38 établissements, a étudié le document de travail fourni par le ministère, en a fait une synthèse et a essayé de l’adapter à nos pratiques. Ce qui n’est pas simple. Tout est très flou. On nous enjoint surtout à minimiser les risques, les contacts et à respecter les fameux gestes barrières, à mettre des masques. Pour les répétitions, par exemple, la solution proposée consiste à confiner, isoler l’équipe tout le temps de la période de travail, après que tout le monde ait été testé sur la base du volontariat uniquement. Si cela est applicable au théâtre, cela ne l’est absolument pas pour la danse et le cirque. Comment empêcher danseurs, performeurs, artistes circassiens de se toucher ? C’est tout bonnement impossible.
Toutefois, il est important voire essentiel de reprendre une activité, de montrer que nous pouvons reconstruire, réinventer, que le théâtre est un art vivant. Depuis quelques jours, nous refaisons du présentiel, mais uniquement quand cela est absolument nécessaire. Notre principal objectif est de reprendre les répétitions dès le 2 juin. Avec l’équipe technique, nous travaillons donc à la mise en place des gestes barrières, notamment grâce à un marquage au sol permettant de visualiser les espaces de distanciation, d’imposer un sens de circulation limitant les risques de contact.
Notre autre priorité est de rouvrir l’école début juin. Les concours d’entrée aux différentes formations d’art dramatique reprennent, il est donc de notre devoir de faire en sorte que nos élèves qui sont en classe préparatoire puissent être prêts.
Qu’en est-il de la saison prochaine ?
Arnaud Meunier : nous n’avons pas voulu jouer les Cassandre et tout détruire. En cette période où tout est assez flou, nous avons dû apprendre à être souples, réactifs et très spontanés. Nous devions commencer la saison avec un beau projet commun avec La Colline et le Festival de Marseille autour du Brésil. Évidemment, nous avons décidé de le reporter à l’année prochaine. Nous avions aussi une belle ouverture, en partenariat avec la Biennale de Lyon, une création de Yoann Bourgeois, qui se répétera bien en septembre mais jouera en juin 2021 (aux nouvelles dates de la biennale). Par ailleurs, nous avons pu décaler sur l’année théâtrale à venir Celui qui tombe du même chorégraphe et Sylvia de Fabrice Murgia, que nous avons dû annuler ce printemps. Par contre, nous sommes encore en discussion pour reprendre le très beau spectacle de Wajdi Mouawad, Tous les oiseaux. Aux vues des emplois du temps de chacun, c’est assez compliqué.
Qu’en est-il de vous en tant que metteur en scène ?
Arnaud Meunier : C’est très compliqué. Je me suis senti très proche de la tribune de Christophe Honoré dans Le Monde, quand il dit qu’on vit une saison empoisonnée et pas du tout féconde. J’ai vraiment dû lutter contre la dépression, pour ne pas sombrer. Heureusement, tout reprend doucement. Je réfléchis déjà à ma prochaine création, qui sera Tout mon amour de Laurent Mauvignier avec Philippe Torreton et Anne Brochet. J’ai hâte de retrouver le travail de plateau.
Propos recueillis par Marie Gicquel et Olivier Frégaville-Gratian d’Amore
Crédit photos © Ed Alcock-Myop, © Sonia Barcet, © OFGDA et © Hubert Amiel