Catastrophés

Face à l'état du monde, Pierre Notte livre son regard(s) doux mélancolique.

Au théâtre, voir émerger la catastrophe, d’où elle vient, comment on se la prend, on la prévient ou on l’évite, comment on la prédit et la provoque, comment on en sort, détruit ou reconstruit. Toujours regarder ça, pour la voir de plus près, la catastrophe d’être au monde, y voir plus clair et prend les distances qui s’imposent. La négocier, mieux. 

Au théâtre encore préférer le film catastrophe, La Tour infernaleTremblement de terreL’aventure du Poséidon, Avalanche, Titanic, 2012Deep ImpactAlertele Pic de DanteVolcanoTwisterContagionThe ImpossibleLa Faille de San Andréas

Même schéma, exactement. À chaque fois, retrouver, mode d’emploi connu, la chose connue. Une famille disloquée, cellule fragile, mise à l’épreuve d’une catastrophe, naturelle, imminente. Le mâle dominant quitte le foyer. Exposition des personnages, repérer vite le cynique, l’inutile, le plaisantin, le fortuné, l’autorité locale et l’innocent. Le tout au sein d’une lutte des classes latente, guerre froide qui attend l’étincelle.

Déclic et élément déclencheur. Flammes, irruption volcanique, tsunami, météorite, virus, tornade, iceberg, secousse tellurique.   

Le mâle dominant prend en charge le sauvetage de ce qu’il reste à sauver. L’innocent se sacrifie, le cynique en prend pour son grade, le chien survivra. Retour au foyer du mâle, la cellule se ressoude, les pères se réconcilient avec leur fils.

« J’y pensais comme à une catastrophe possible. À présent, j’étais en pleine catastrophe. » Paul, dans Le Mépris

Il n’y a plus de théâtre, fini les cinémas à catastrophes. On est dedans, au cœur. Tout y est. Exposition, élément déclencheur, révélation des identités, homme providentiel à qui les destins sont confiés. Sacrifiés et cyniques, on attend la résolution. 

On est spectateur planté au milieu du scénario. Jaillissent dans la solitude extrême d’un confinement les éclats de joyaux dans la boue. La beauté d’un motet de Benoit Dumon, les vidéos de Florian Choquart, la chanson La Tendresse chantée par quarante chanteurs de réseau, les parodies des parodies, les lectures au téléphone, les mots gentils laissés par les voisins, les projets illusoires comme des châteaux de cartes en Espagne, les casseroles de vingt heures, les apéros vidéo avec les copains, parce que le rire et la délicatesse désamorcent les peurs, adoucissent les angles des murs qu’on se prend sur la gueule, font parfois prendre la hauteur nécessaire, éloignent la torpeur. On est seul ensemble, on partage. 

D’autres y vont de leur leçon à donner, torts à redresser, narcissisme à exhiber, injonctions à l’impératif, jeux de putes et tout à l’égo. Et les êtres supérieurs qui découvrent l’héroïsme champignon du soignant, de l’éboueur, du livreur de pizza, à qui il fallait bien un virus pour devenir visible. Ceux-là, on pardonne, ils ne savent pas ce qu’ils font, mais on garde la liste. On fera le tri. Plus tard. On aura fini de compter nos morts. 

Il faudra recommencer à danser sur les ruines. 

« Vous savez ce que veut dire soin en langage classique ? Précaution amoureuse… » Deneuve dans une pub Y-S-L

Aucune arme contre le virus, la tornade, le volcan, l’iceberg, la secousse ou la météorite. Mais ce qui tue aussi, ailleurs et toujours, contre quoi lutter est encore peut-être possible, c’est le silence, le mépris, le manque de soin, le manque d’amour. 

La catastrophe, elle s’en prend à tout le monde. Sans distinction de classe. Elle préfère les favelas aux avenues chics mais elle ne fait pas de quartier. Dans le film catastrophe, celui qui n’aime pas, qui a oublié l’amour, qui néglige d’aimer, c’est toujours le dernier à y passer, mais ça fait mal. Fin tragique, douloureuse jusqu’au burlesque parfois. Mais lui, ce n’est jamais la catastrophe qui le tue, c’est le manque d’amour, l’arrogance, la connerie.

Pierre Notte, auteur et metteur en scène

Crédit photos © Pierre Notte, © DR

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