Le feu de la passion brûle dans son cœur, empoissonne son esprit qui cède peu à peu à une folie dévorante, dévastatrice. Phèdre, femme fatale, sacrifiée sur l’autel de la paix, donne libre court à ses pulsions pour mieux se perdre dans l’abîme de l’inceste. Avec force troublante et émotion à fleur de peau, Louise Vignaud redonne vie à cette héroïne antique et offre à Jennifer Decker, un rôle à la mesure de son talent. Bouleversant !
Une ombre massive apparaît en clair-obscur. Elle psalmodie quelques incantations. La lumière rasante souligne sa musculature de butor. Guerrier, enfant d’Athènes, fils de Thésée (poignant Thierry Hancisse), Hyppolite (fiévreux Nâzim Boudjenah) s’entraîne maniant avec maestria le glaive vengeur. En l’absence de son père, parti seconder son amant dans le projet d’enlèvement de l’épouse du dieu des morts, il veille aux côtés de sa belle-mère, la jeune et sensuelle Phèdre (éblouissante Jennifer Decker), au devenir et au bien-être de la cité. Profondément misogyne, l’homme au cœur pur refuse tout contact avec la gent féminine qu’il accuse de tous les maux.
Bien malgré lui, piégé par le dépit amoureux de la tourmentée et frustrée Phèdre, accusé de viol, d’inceste, il fuit le monde et court à sa perte. Horrifié par l’état de son palais, de sa ville, le tonitruant et violent Thésée, revenu des enfers, rêve de venger son honneur bafoué, de tuer son propre enfant. Quand la vérité éclate, il est trop tard. L’implacable et funeste destinée de ces héros tragiques sera consumée, déchirée, déchiqueté. Les larmes ne suffiront pas à apaiser les cœurs blessés, les âmes brisées.
Si les auteurs latins se font rares au Français, la résurrection par la jeune Louise Vignaud de cette autre Phèdre, qui a servi à Racine de modèle, invite à en renouveler l’expérience. S’emparant de ce drame antique cru et sanglant, elle livre une vision contemporaine de l’œuvre de Sénèque où l’intime, la passion dévorante d’une femme sacrifiée, préside à l’avenir d’une nation. Loin de minimiser la barbarie, la férocité du texte, elle en souligne la violence tourmentée, la troublante bestialité. Dans ce combat qui oppose la femme fatale, charnelle, à l’homme guerrier, soucieux de son honneur, l’animalité de chacun éclate avec force viscérale qui ravage moral et renommée.
Avec maîtrise et virtuosité, la troupe de la Comédie-Française s’empare de cette tragédie antique en donnant à chaque mot un souffle de vie, une vision imagée et profondément vibrante du récit. En nourrice protectrice, atterrée par la folie amoureuse qui gagne sa maîtresse, Claude Mathieu est magistrale. En roi sodomite, en mari trahi, en père aimant, Thierry Hancisse est impérial. En fauve pur de tout vice, Nâzim Boudjenah est tranchant, impressionnant de candeur et de fragilité virile. En conteur – voyeur, Pierre Louis-Calixte est parfait. Enfin, tour à tour épouse honnête ou succube mortifère, Jennifer Decker habite avec une rare intensité cette Phèdre démoniaque et humaine, cette femme délaissée qui cherche dans le corps de l’homme jeune, un peu de chaleur, d’humanité. Titubante, enivrée de passion, hiératique refusant l’opprobre qui lui est destiné, elle irradie la scène de sa présence magnétique.
Foncez découvrir ce classique ressuscité pour notre plus grand plaisir.
Olivier Frégaville-Gratian d’Amore – Attitude Luxe
Phèdre de Sénèque – Studio de la Comédie Française
Mise en scène de Louise Vignaud
Avec Claude Mathieu, Thierry Hancisse, Pierre Louis-Calixte, Nâzim Boudjenah, Jennifer Decker
Scénographie d’Irène Vignaud
Lumières de Luc Michel
Costumes de Cindy Lombardi
Son de Lola Etiève
Dramaturgie de Pauline Noblecourt
Traduction de Florence Dupont
Crédit photos © Christophe Raynaud de Lage, coll. Comédie-Française.