Dans ce huis clos imposé qu’est le confinement, tout est exacerbé, pour bien des gens, la moindre chose peut provoquer des scènes de ménage mémorables, dignes d’un bon vaudeville.
Les voisins du dessus s’expriment fort et ne connaissent aucune demi-mesure, hurlant leurs opinions, leurs quotidiens, se croyant seuls au monde et leurs désaccords aboutissent régulièrement à de belles engueulades. Elle, nous allons l’appeler Josiane, tant par sa voix et sa manière de s’exprimer fait songer à Madame Muscin, du Père Noël est une ordure, coincée dans son ascenseur. Josiane est comme la Mégère apprivoisée de Shakespeare, une jolie femme toujours en colère, menant son petit monde par le bout de ses sautes d’humeur. Lui, on va le prénommer Gérard, car il a la nonchalance des chanteurs de Carioca. Comme Prétucio, en temps normal, il a apprivoisé son épouse, mais pour sa tranquillité, il lui laisse péter un câble pour mieux ensuite la remettre dans le droit chemin de leur tranquillité. Cela marche à chaque fois.
Depuis le début du confinement, se demandant si cela allait durer, Sacha le chat et moi-même étions surpris par l’entente qui régnait entre eux. Mais elle n’était que cordiale. Il a suffi d’un mouton de poussière de trop pour faire démarrer les hostilités. Et oui, c’est parti d’une histoire de ménage. Ce qui semble couler de source pour ce genre de scène ! Josiane passait l’aspirateur. On aurait dû se méfier avec Sacha, car lorsqu’elle le passe de façon compulsive c’est que ses nerfs sont à vif et que cela ne présage rien de bon. Le premier reproche a fusé, comme quoi Gérard ne faisait rien à la maison, que tout était dégueulasse par sa faute.
J’ai regardé Sacha le chat et je lui ai montré la moquette et les fauteuils où les diverses traces de son passage étaient visibles. Autant dire, que cela l’a laissé de marbre. Là-haut, les décibels montaient, les critiques s’assemblaient comme les perles à un collier. On se serait cru dans Qui a peur de Virginia Woolf ?. Josiane y allait de ses reproches, le rabaissant, lui disant qu’il était un raté, un moins que rien, que sans elle, il vivrait dans la fange de sa saleté. Gérard s’est rebellé lui rappelant qu’elle ne devait pas lui parler ainsi car dixit : il n’était pas son fils mais son mari ! Belle réplique que nous aurions bien applaudie avec Sacha.
Les portes ont claqué ! Les larmes coulées ! Mais dans le confinement, pas question de retourner chez sa mère ! Faut faire face. Le lendemain, La Dispute est repartie de plus belle. Nous oscillions entre Démons de Noren et Scène de vie conjugale de Bergman. Et pourtant, ils avaient fermé les fenêtres ! Tout l’immeuble était suspendu à ce massacre qui risquait de se terminer en Petits crimes conjugaux. Puis, ce fut le grand silence. Pris dans La souricière du confinement, lequel avait descendu l’autre ?
Je vous rassure, ils sont sains et saufs. Pour le plus grand plaisir de tout le quartier, les Amants terribles se sont mis à jouer au Chat. Chacun faisant la gueule à l’autre, plus un son n’est sorti de chez eux. On les imaginait bien s’évitant, ne mangeant plus ensemble, dormant l’un sur le canapé dans le salon et l’autre dans la chambre. Plus de musique à fond, plus de télé rugissante, plus de conversations téléphoniques en WhatsApp vociférées, comme il était beau ce silence, apaisant. Cela a duré trois jours, comme à chaque fois quand ils sont allés trop loin entre eux. Et puis, parce qu’ils s’aiment vraiment, la vie a repris, sur le mode tranquille, créant une sorte d’Illusion conjugale. Jusqu’à la prochaine fois, car on ne change pas !
Marie Céline Nivière
La mégère apprivoisée de Shakespeare
Qui a peur de Virginia Woolf ? d’Edward Albee
Démons de Lars Noren
Scène de la vie conjugale d’Ingmar Bergman
Illusion Conjugale d’Assous
Le chat de Georges Simenon
Crédit photos © Marion Duhamel, © Giovanni Cittadini Cesi