D’autres fabuleuses Pâques

En ce samedi nuageux, il est temps de plonger dans les souvenirs de Pâques orthodoxes aux saveurs d'antan, aux rencontres inattendues.

Ce week-end, c’est Pâques pour les Orthodoxes et nous ne serons pas en famille pour la fêter. Chacun chez soi. Pas d’église, pas de portes ouvertes pour accueillir les amis comme c’est la tradition. Confinement oblige, elle se fêtera dans la plus stricte intimité et la mienne se résume au chat. Donc, il est prévenu, nous célébrerons ensemble la « résurrection du Christ » et il aura droit à tout le cérémonial. 

Et oui, je suis orthodoxe. Mon cher père ayant eu la bonne idée, au début des années 1960, de se convertir. Et comme il ne faisait rien à moitié, il est même devenu prêtre et nous avons été de fidèles paroissiens de la Cathédrale Saint Alexandre Nevski, située rue Daru dans le 8e arrondissement de Paris. A cette époque, nous fréquentions donc assidûment l’émigration russe, et la plupart des paroissiens avaient connu la Russie d’avant la Révolution. A force de les côtoyer, eux et leurs traditions, je suis devenue une immigrée russe blanche en quelque sorte. 

Chants de joie

Pâques est la fête la plus importante et la plus magnifique. Le samedi soir, vêtus de nos plus beaux atours, nous arrivons à l’église, notre cierge allumé à la main, tout est noir, triste. Nous attendons dans le silence, le recueillement, et tout d’un coup l’Archevêque annonce : « Le Christ est ressuscité ! » et tous lui répondent dans un large sourire : « En vérité, il est ressuscité ! ». La joie illumine les visages de tous. La célébration de la nuit Pascale commence. Je vous invite à écouter celle de 1973, celle de mon enfance (voir lien). Je regardais tout ceci avec émerveillement, la beauté de la cérémonie, avec l’excellence du Chœur Evetz, dirigé par le grand-père de ma meilleure amie, le rituel précis et immuable des prêtres, tout cela a contribué à mon amour de la représentation théâtrale. 

Chez les uns, chez les autres

Le dimanche de Pâques, nous nous rendions chez les uns et chez les autres, toutes les portes étaient ouvertes. Sur les tables, une orgie de mets, dont les œufs durs peints, les gâteaux de Pâques, Pashka (un délice à base de fromage blanc) et Koulitch (là j’étais moins fan, une sorte de Paneton plus ou moins dur et rempli de fruits confits). Ce dimanche, j’ouvrirai les portes de l’appartement et inviterai Sacha le chat. Je lui dirai en russe que le Christ est ressuscité et il me répondra miaou ! Je ne pourrai pas lui proposer de la Pashka, et pourtant il aime ça le chat, pas de Koulitch, parce que je ne sais pas les faire et que Babou n’est plus là pour me les préparer. Mais il aura les œufs durs. J’en ai fait deux, mais ils ne sont pas peints parce que je n’ai rien pour le faire. On se fera ensemble la petite bataille rituelle de l’œuf. Qui consiste à taper son œuf dans celui du voisin pour le casser. Je m’autoriserai une petite vodka et j’appellerai famille et amis. Mais cela ne sera pas pareil.

L’appartement du Père Nicolas

La nostalgie étant ce qu’elle est, je vais alors me souvenir de toutes les anciennes fêtes Pascales, même celles qui m’étaient pénibles parce que trop jeune pour en profiter. Pourtant, il y en a une qui est restée gravée en ma mémoire. C’était dans les années 1970, comme tous les dimanches de Pâques, après les vigiles, mon père rendait visite au Père Nicolas Obolenski, un homme merveilleux. Son appartement était minuscule et la pièce principale était occupée par, à me yeux d’enfant, que des vieux. Il y avait là des princesses, des comtes, des révérendes mères qui avaient connu le tsar, ce qui m’impressionnait. Ma petite sœur et moi étions confinées – déjà – dans le couloir où nous pouvions dévorer nos œufs en chocolat et attendre que cela passe. Cette année-là, un petit garçon extrêmement bien habillé, comme un petit lord anglais, s’était joint à nous. Il accompagnait sa grand-mère, une princesse géorgienne. 

Une rencontre inattendue

Jouer à chat dans un couloir grand comme un mouchoir de poche n’étant pas aisé, j’ai eu le courage d’entrer dans la pièce. Le père Nicolas m’a regardée avec sa malice habituelle. De sa voix qui chuintait, il me demanda ce que je désirais. Mon père m’a jeté un coup d’œil inquiet. Le plus poliment possible, j’ai demandé l’autorisation de sortir pour jouer dans la cour avec le petit garçon et ma sœur. Le Père Nicolas demanda à la grand-mère de l’enfant si cela était faisable. Ce qu’elle accorda, car deux filles de prêtre étaient caution à ce que tout se passe bien. La tête de mon père, qui connaissait bien ses filles qu’il surnommait affectueusement « le fléau et la catastrophe », aurait pu lui procurer quelques inquiétudes. Le Père Nicolas avait éclaté de rire et d’un ton complice me lança « Tout ira bien, hein Marie ? ». Ce fut pour nous une fête inoubliable. L’année suivante, nous sommes revenus chez le Père Nicolas, espérant très fort que le petit garçon joyeux et rigolo serait de nouveau là avec sa grand-mère. Mais non. Je ne l’ai retrouvé que des années après, c’était Guillaume Gallienne.

Marie-Céline Nivière

Crédit photos © DR et © Georges Briard – Wikimédia communs

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