Isabelle Gélinas, la radieuse

A l'Affiche du théâtre de la Renaissance avec le confinement , Isabelle Gélinas fait partie des comédiennes qui accrochent la lumière.

Connue du grand public notamment grâce à la série à succès Fais pas ci, fais pas ça, Isabelle Gélinas est aussi à l’aise devant une caméra que sur les planches. « Molièrisée » en 2014 pour son rôle dans Le Père de Florian Zeller, la comédienne franco-canadienne était juste avant le confinement, à l’affiche du théâtre de la Renaissance dans Un Amour de jeunesse d’Ivan Calberac. Retour sur une carrière riche et éclectique. 

Vingt-quatre ans, le bel âge. Tout juste sortie du conservatoire, Isabelle Gélinas joue déjà les fraîches amantes bretonnes et insurgées de Philippe Noiret dans Chouans ! de Philippe de Broca. Brune piquante, un ton espiègle déjà assumé, un regard bleu azur pétillant, il n’en fallait pas plus pour distinguer la jeune comédienne. Dans ce second rôle de fille de ferme, tendrement aimée par son seigneur et maître le Comte de Kerfadec, elle ne démérite pas d’autant qu’elle donne la réplique à une ribambelle de jeunes étoiles montantes du cinéma français, Stéphane FreissSophie Marceau et Lambert Wilson. J’ai seize ans, je suis passionné d’histoire, quand je découvre ce long métrage diffusé en version longue sous la forme de 4 téléfilms à la télévision. Il reste encore et toujours gravé dans ma mémoire, tant je l’ai vu et revu. J’en connais les moindres répliques, les costumes, les lieux de tournage. Je suis fasciné par le jeu des acteurs, leur prestance, rayonnante pour les uns, fiévreuse pour les autres. C’est ainsi que la brune Montréalaise, née onze ans plus que tôt que moi à un jour près, entre dans les artistes que je vais prendre plaisir à suivre en tant que cinéphile, puis en tant que critique. 

Des débuts laborieux

Difficile à croire, mais Isabelle Gélinas, fille d’un architecte québécois et d’une française, restauratrice de tableaux, a eu du mal à percer dans le métier. Pourtant, elle suit la voie royale. Admise au cours Florent, elle intègre à 19 ans le conservatoire national supérieur d’art dramatique. Elle fait ses classes sous les regards exigeants de Pierre Vialde Michel Bouquet et de Daniel Mesguich. « Pas assez moderne », « trop mature », la jeune femme a bien du mal à trouver sa place. La petite fille modèle du 7e arrondissement, l’enfant sage, rêveuse, va révéler sa vraie nature, pugnace et déterminée. Comédienne, elle veut être, comédienne elle sera. Curieusement, elle enchaîne les personnages historiques. Son physique, sa belle prestance, lui permettent de décrocher les rôles de Princesse. En 1989, elle est la Reine Margot aux côtés d’Alice Sapritch, dans un téléfilm en deux parties, consacré à Catherine de Médicis et réalisé par Yves-André Hubert. Trois ans plus tard, elle est choisie par Roger Planchon pour jouer les duchesses frondeuses dans Louis, enfant roi, film sélectionné en 1993 pour participer au festival de Cannes. 

Les planches comme tremplin

Quelques apparitions remarquées à la télévision, au cinéma, dans Didier de d’Alain Chabat ou dans Les gens en maillot de bain ne sont pas (forcément) superficiels d’Éric Assous, entre autres, mais c’est au théâtre qu’elle se fait un nom. MolièrePirandello, ou MarivauxIsabelle Gélinas connaît ses classiques. Elle prend un plaisir à les interpréter, à donner corps à ses textes qu’elle lit et relit. Perfectionniste, un trait qu’elle doit à son mentor, Michel Bouquet, douée, elle ne s’arrête jamais à ses premières impressions. Elle travaille les mots, le sens des phrases. Jean Davy lui offre ses premiers rôles de répertoire. La comédienne est lancée. Le théâtre est son refuge, un lieu où elle se sent bien. La rencontre avec le public, cette sensation unique de jouer soir après soir, le même personnage, s’en jamais se lasser, elle suit son chemin, aime dire la prose de Hugo, de Shakespeare, de Giraudoux. Sa persévérance a payé. Petit à petit, elle impose son style, son art de la comédie, son humour léger, radieux. 

Consécration 

Isabelle Gélinas mène de front son triple parcours. Rare au cinéma – désopilante femme de Jugnot dans Entre amis d’Olivier Baroux –, elle enchaîne les projets télévisuels et théâtraux. Le boulevard et le vaudeville lui ouvrent enfin les bras. En quelques années, elle fait son nid. Après Jalousie en trois fax d’Esther Vila en 2001 au théâtre de Paris, elle est sélectionnée en 2006 pour interpréter la très bobo Valérie Bouley dans Fais pas ci, fais pas ça pour France 2Sept saisons durant, la comédienne entre dans les foyers des Français. Sa prestation, lui vaut d’ailleurs d’être distinguée en 2009 comme meilleure actrice comique au festival de télévision de Monte-Carlo. La même année, elle triomphe au théâtre de l’Œuvre dans Illusion conjugale d’Eric Assous. Face à Jean-Luc Moreau et José Paul, la piquante brune ne s’en laisse pas compter. Rayonnante en femme adultère, elle est sur scène aussi pétillante que dans mes souvenirs audiovisuels. Elle attrape la lumière. Son charme, son naturel font mouche. Elle illumine mes premières chroniques théâtre sur une WebTV.

Un Molière en sus

C’est le début d’une nouvelle histoire. Après trois saisons dans la peau de cette épouse partagée entre mari et amant, elle est choisie pour être la fille de Robert Hirsch dans Le Père de Florian Zeller. La pièce, créée en septembre 2012 au Théâtre Hébertot, est largement saluée par la critique et le public. Sa prestation lui vaut d’être nommée pour la troisième fois aux Molières et de repartir enfin avec la statuette le 2 juin 2014. L’année d’après, elle revient au théâtre de Paris avec son complice José Paul dans une nouvelle adaptation d’Un petit jeu sans conséquence, de Jean Dell et Gérald Sibleyras. Abonnée au lieu et à l’auteur, Isabelle Gélinas est en septembre 2015 à l’affiche d’un Avenir radieux aux cotés de l’extraordinaire Grégoire Bonnet. Mère célibattante, elle tente de corrompre son voisin pour qu’il vote pour son fils chéri, en finale d’une émission de télé-crochet. Une Nouvelle fois, la comédienne irradie et brûle les planches. La pièce, une satire de notre société de consommation, est de bonne facture, mais n’a rien d’exceptionnelle. La prestation des artistes en est le principal intérêt. Après un petit tour chez Zeller, et son Envers du décor, la charmante brune retrouve Molière en 2018. Sous la férule de Peter Stein, elle se glisse, au théâtre de la Porte Saint-Martin, dans la peau d’Elvire, la trop jolie épouse D’Orgon que tente de circonvenir Tartuffe. Face au trop imposant duo Arditi-Weber et à l’adaptation mal adroite du metteur en scène allemand, elle tire son épingle du jeu. Son jeu toujours aussi précis, son humour élégant, son chic désinvolte, charme et ensorcèle. 

Policière foldingue dans la série Crime parfaits pour France 3, elle jouait les aristos fauchées au théâtre de la Renaissance quand la pandémie de coronavirus a forcé les institutions culturelles à fermer le rideau. Toujours aussi pétulante, elle donnait corps avec énergie et humour au texte d’Ivan Calberac aux côté de Stéphane de Groodt et d’Olivia Côte. Drôle, touchante, rayonnante, Isabelle Gélinas a su au fil du temps tracer sa route. Son visage est familier. Sa présence gage d’un bon moment à venir. En attendant sa prochaine prestation sur les planches, il est possible de voir en VOD certaines séries et films auxquels elle a participé. Et pour ma part replonger dans Chouans !Louis, enfant roi ou Catherine de Médicis, qui ont une place de choix – certainement nostalgique-  dans ma vidéothèque.

Olivier Frégaville-Gratian d’Amore

Crédit photos © France 2 – Christophe Russeil, © DR,© Claire Besse et © Pascal Victor /ArtComPress

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