Hier ce n’était pas la forme ! Petite baisse de régime, le temps commence à se faire long. Même la séance de yoga du matin ne fut pas régénérante, ni même les câlins du chat. C’est ainsi, on sait que cela va finir par passer, mais la journée s’annoncait longue et pénible. Du coup, à force de tourner en rond, j’ai eu envie d’aller du côté de la lumière. C’est dans cet état d’esprit que j’ai allumé l’ordinateur pour aller sur le site du Théâtre du Soleil.
Une troupe au coeur du bois de Vincennes
J’étais certaine d’y trouver mon bonheur, ce dont j’avais besoin. L’aventure et l’existence de ce lieu unique, fondé en 1964 par Ariane Mnouchkine et qui s’installe dans les années 1970 au cœur de la Cartoucherie, à deux pas du château de Vincennes, juste derrière le parc floral, ont marqué durablement l’art dramatique du XXe siècle. Chaque rendez-vous avec ses spectacles procure émerveillement, enthousiasme, ravissement. Depuis le début du confinement, la compagnie propose sur son site l’accès gratuit à des films, des captations et des documentaires maison.
Un répertoire foisonnant
C’est ma charmante et passionnante prof de Français de 4e, Madame Habi, qui me l’a fait découvrir. A l’époque, Elle m’avait traînée avec mes camarades de classe au cinéma voir Molière. Ce fut une claque, d’autant que je rêvais alors de devenir une grande comédienne, raison principale de mon entrée au Cours René Simon. Pourtant, malgré ce coup de foudre, une fascination certaine pour le travail d’Ariane Mnouchkine, ce n’est que très tardivement que j’ai franchi pour la première fois les portes de son théâtre. Ce fut en 2003 pour Le dernier caravansérail. Ensuite je n’ai, sauf sa dernière création, Une Chambre en Inde, plus rien manqué. En revanche, je connaissais sur le bout de mon cœur les spectacles de Philippe Caubère, ce qui me donnait l’impression de vivre avec la troupe du Soleil.
Une sacrée aventure
Hier, grâce à cette initiative généreuse du Théâtre du Soleil, j’ai démarré ma séance de remise à niveau du moral, avec le documentaire Ariane Mnouchkine, l’aventure du Théâtre du Soleil. Je vous préviens, il démarre par une « gueulante » d’Ariane. Ça rebooste ! « Descendez dans les gradins s’il vous plaît ! Restez dans l’arène, là où c’est dangereux, là où vous êtes utiles ! ». Elle me parlait. Depuis le confinement, nous, les critiques, ne pouvons plus être là où nous sommes utiles, et cela me manque terriblement. C’est ce qui me nourrit depuis 29 ans. Alors je me suis donc laissée guider par Ariane Mnouchkine, par ce reportage au cœur de la troupe réalisé avec une finesse par Catherine Vilpoux. J’ai même eu des larmes d’émotion lorsque j’ai vu les spectateurs vietnamiens se lever d’un seul bond pour saluer la troupe qui venait de leur présenter Les éphémères.
Une rencontre détonnante
Ma première rencontre avec Ariane, ne s’est pas vraiment faite. Sur l’invitation de Liliana, sa fidèle attachée de presse, et d’Eric Chalmandrier, de l’agence de pub qui s’occupe du Soleil, je m’étais rendue à la Cartoucherie. Liliana m’en avait montrée tous les rouages. J’espérais croiser Ariane, mais la patronne n’était pas là. Quelque part à l’étranger mais je ne sais plus où. Puis je suis revenue pour l’interviewer sur sa nouvelle création, Les naufragés du Fol Espoir. Je devais déjeuner avec elle et ensuite l’interroger. Il y avait de la tension dans l’air, celle de la naissance d’un spectacle. En me voyant dans les pas de son attachée de presse, Ariane prévient, « Pas le plateau, tu ne montres pas le plateau. » Je suis dans mes petits souliers et tente de me faire aussi petite qu’une souris. L’heure du déjeuner arrive. Tout le monde s’installe à la salle à manger. C’est une véritable fourmilière. Liliana m’annonce que je ne serai pas à la table d’Ariane car trois comédiens arrivés à l’improviste d’Inde vont déjeuner avec elle. Je m’installe à une autre table et devise avec les comédiens. Après le repas et le café sous les marronniers, un doute me saisit, arriverais-je à faire cet entretien, car la « patronne » ne cesse d’aller d’un problème à régler à un autre. Cela semblait sans fin. Ce n’était pas une bonne journée pour elle, c’était évident. Je propose à Liliana de reporter. « Surtout pas ! C’est tellement compliqué de trouver un moment avec Ariane. Ne t’inquiète pas, elle va être à toi dans quelques instants. »
Une belle mission
Elle le fut, effectivement. Mais dans un état de tension que je me demandais comment j’allais m’y prendre. Mes questions étaient prêtes, mais étaient-elles à-propos ! Allais-je maladroitement l’agacer. J’étais un peu tétanisée par la peur face à ce monument du théâtre. Liliana, par habitude, réussit à détendre Ariane. Je pus commencer. A ma première question, Ariane leva un sourcil. Avais-je dit une bêtise ? Non, un grand sourire illumina son visage. C’était gagné et durant la demi-heure qu’elle pouvait m’accorder, nous devisâmes sur les naufragés, sur le théâtre en général. Quand l’article paru dans le Pariscope, elle me fit savoir combien elle avait aimé notre entrevue et le travail qui en était ressorti. J’étais on ne peut plus fière, vous vous en doutez bien et cela m’avait mis du baume au cœur, car nous doutons toujours du bien-fondé de notre mission.
Quand j’ai refermé l’ordinateur après avoir visionné le documentaire, mon moral était revenu au beau, et dans tous les possibles de ce que l’avenir nous réservera, j’ai prévenu le chat que demain nous regarderons la pièce 1789.
Marie Céline Nivière
Crédit photos © Michèle Laurence et © DR