Enfants, Au théâtre ce soir nous permettait de voir les pièces qui se jouaient sur les grands boulevards, dans les prestigieux théâtres parisiens. L’émission a disparu. D’autres ont tenté de la remplacer, avec plus ou moins de succès, reléguant au mieux l’art dramatique aux secondes parties de soirée. Avec le confinement, artistes, institutions et salles de spectacles partent à la conquête du web, du streaming et de la télé. Un espoir vibrant, une lumière face au virus !
Il y a un grand élan sur la toile. Tous les théâtres, toutes les institutions s’y mettent. C’est un tsunami culturel qui s’offre aux surfeurs. De la Comédie-Française à l’Odeon – Théâtre de l’Europe en passant par la Comédie de Valence, le théâtre des Funambules Montmartre, La Colline – Théâtre national, TNS ou des Bouffes du nord, tous y vont de leurs initiatives, de leurs rendez- vous quotidiens avec le public.
Lecture dans votre salon
Tout comme les français confinés chez eux, le monde de l’art dramatique est à l’arrêt depuis plus de deux semaines. Comment faire pour survivre, exister quand on ne peut plus aller au-devant d’un public de chair et de sang ? Le spectacle vivant, les artistes, les auteurs, les comédiens, les metteurs en scène cherchent chacun à leur manière des moyens d’exercer leur art en ces temps de crises. Pour les deux jeunes directeurs du Théâtre 14, Mathieu Touzé et Édouard Chapot, l’important est de continuer, coûte que coûte, leur mission d’établissement public. Ainsi, ils ont mis en place sur les réseaux sociaux une nouvelle page #Culturechezvous, dont le point d’orgue quotidien est la lecture par un artiste associé au théâtre d’un texte qui lui est cher. Ainsi, faute de pouvoir reprendre la pièce en direct, Marie Sophie Ferdane s’est emparée, il y a quelques jours, de La 7e vie de Patti Smith de Claudine Galéa, quant à Yumming Hey ce sont des extraits de Pyschose 4.48 de Sarah Kane qu’il a partagé avec l’intensité qu’on lui connait. Le TNS a aussi pris cette option avec « Voix des artistes associé.e.s », tout en donnant carte blanche à son photographe, le talentueux Jean-Louis Fernandez, qui a accepté pour l’occasion de partager chaque semaines une photo inédite de coulisses.
Des projets participatifs contre l’ennui
A Valence, le tout nouveau directeur de la Comédie, Marc Lainé met à contribution son équipe d’artistes et lance toute une série de projets dont le principal objectif est d’éclairer les journées des internautes et des théâtreux. Avec la dramaturge Tünde Deák, le metteur en scène et scénographe a eu l’idée de mettre en place une chaîne narrative, une sorte de cadavre exquis. Chaque jour, un spectateur est convié à écrire en quelques lignes le voyage intérieur d’un double fictif. L’ensemble retravaillé sera lu un de ces jours à 14h. Par ailleurs, Marc Lainé a proposé à Stephan Zimmerli, du groupe Moriarty, de laisser son crayon errer sur une page blanche, juste guidé par les mots d’un habitué du théâtre. Au TNB, Arthur Nauzyciel a imaginé une saison virtuelle dans la même veine. Ainsi, sur le site du théâtre, il est possible d’aller à la rencontre des inspiration créatrices des artistes qui font vibrer les lieux, tel Julie Duclos, Phia Ménard ou Damien Jallet, de découvrir leurs portraits, mais aussi de participer à la lecture de la Dame aux Camélias d’Alexandre Dumas fils, texte qu’il a mis en scène l’an passé.
Au creux de l’oreille
Confiné, Wadji Mouawad, directeur de La Colline – Théâtre national, a quant à lui, décidé de partager ses pensées et son propre ressenti face à cet immobilisme forcé en podcastant son journal de confinement. Poétique et humaine, sa parole invite aux rêves, ses réflexions à voir le monde de demain autrement. En parallèle, il propose aux habités des lieux, ainsi qu’à tous ceux qui le souhaite une expérience singulière. En appelant la colline, vous aurez peut-être la chance de tomber sur Anouk Grinberg, André Marcon, Dominique Valadié, Nancy Huston ou Cristiana Reali, qui au creux de votre oreille, le temps d’un instant suspendu, vous lira un poème, une scène, un extrait de roman. Au TnBA, Catherine Marnas a, quant à elle choisi la vidéo comme moyen de rester en contact. Ainsi, les artistes compagnons de l’institution et les élèves de l’école donnent de leurs nouvelles, transmettent états d’âme et pensées à travers de petits films réalisés avec leur portable.
Des greniers enchantés
Pour d’autres comme pour le Théâtre du Soleil ou l’Odéon-Théâtre de l’Europe, cette période de confinement est l’occasion d’aller puiser dans leurs réserves vidéos afin de mettre en ligne quelques-unes de leurs plus belles productions. Ainsi Ariane Monouchkine et sa célèbre troupe ont mis à disposition sur Viméo, certaines de leurs œuvres les plus marquantes, comme 1789, Molière et le dernier Caravansérail. Stéphane Braunschweig a lui aussi choisi cette option. Depuis le début du confinement, il offre sur le site du théâtre sa version de l’École des femmes de Molière, ainsi que celle des Trois Sœurs de Tchekhov, le film réalisé par son prédécesseur Luc Bondy, autour des Fausses Confidences de Marivaux. En parallèle, afin de diversifier l’offre, il a aussi mis à contribution les comédiens habitués des lieux en les conviant à enregistrer de chez eux des extraits de leurs textes préférés. Ainsi Virginie Colemyn lit Une chambre à soi de Virginia Woolf, Glenn Marausse Mon Chien stupide de John Fante et Ana rodriguez L’université de Rebibbia de Goliarda Sapienza. D’autres théâtres, comme les Bouffes du Nord, le Nouveau Théâtre de Montreuil, font de même.
La Comédie au rendez-vous
C’est un autre chemin, tout aussi inventif qu’a décidé d’emprunter Le Français. Riche d’un nombre incalculable de captations, Eric Ruf a lancé une web télé sur Youtube® baptisée La comédie continue. Tous les soirs à 16h, les comédiens de la salle Richelieu invitent théâtrophiles et internautes à une visite guidée du répertoire. Benjamin Laverhne (le 3 avril), Denis Podalydès (le 4 avril) ou Clément Hervieu-Léger (le 5 Avril) proposent quelques pépites tout droit sorties des placards, des portraits d’artistes, des lectures, des petites formes, histoire de mettre en appétit, avant de présenter la pièce du soir à 20h30 précises. C’est le moment de revoir ces classiques. De Peer Gynt d’Henrik Ibsen à l’Hôtel du Libre-échange de Feydeau, en passant par Il faut qu’une porte soit ouverte ou fermée d’Alfred de Musset, il y en a pour tous les goûts. Par contre, il ne faut pas rater le rendez-vous, la diffusion est unique. Toutefois pas de panique, certaines de ces œuvres, comme celles qui ont fait les beaux jours d’Au théâtre ce soir, sont disponibles sur le tout nouveau site de l’Ina, Madelen – les trois premiers mois sont gratuits.
Le privé dans la lucarne
Les théâtres privés ont, eux aussi, décidé d’envahir la toile et de proposer aux théâtreux un certain nombre de spectacles. Ainsi, le Funambule Montmarte a inauguré la semaine dernière sa chaîne youtube®. Tous les jours, une pièce issue de leur programmation éclectique est visionnable et ce pour 48h. De Cabaret Louise à Main basse sur le magot en passant par Folie Baroque ou Cyrano, c’est l’occasion de rattraper son retard. La plateforme de Streaming Opsis TV, riche de plus de 600 références, allant de Clôture de l’amour de Rambert à Mademoiselle Molière de Savoisien, a décidé en ces temps confinés d’offrir le premier mois d’abonnement.
Les offres sont multiples. Certains artistes redoublent d’invention sur les pages facebook® ou Instagram®, comme Fabian Richard ou Chloé Oliveres. Il y en a pour tous les goûts, toutes les envies. N’hésitez pas et faites que malgré tout, l’art vivant reste vibrant.
Olivier Frégaville-Gratian d’Amore
Crédit Photos © DR, © Frédéric Desmeure, © Brigitte Enguerrand, © Edouard Curchod