Voix unique, présence singulière, Maria Pacôme fait partie de ses monstres sacrés, de ses artistes qui par de là leur disparition resteront à jamais gravé dans nos mémoires. De son impayable sortie de gond dans la Crise de Coline Serreau à sa façon unique de faire son entrée dans au théâtre ce soir, il fait bon en ces temps confinés de se renommer sa longue et fantastique carrière.
Ce matin j’ai surgi dans le salon, en hurlant « Non, non, non, ce n’est pas possible ! » et, dans de grandes enjambées, j’ai fait deux fois le tour de la pièce, avec jeux de bras brassant l’air. « Non, non ! » ai-je continué m’arrêtant devant mon public. « Pas 7 heures du matin c’est trop tôt ! ». Je me suis arrêtée, attendant, espérant les applaudissements de la salle. Mais rien, juste le regard du chat, un peu effaré par cette entrée boulevardière digne de Maria Pacôme.
Icone de scène
A ma décharge, et aussi à celle du chat, cela fait quelques jours que je me fais des séances de pièces avec la grande Maria Pacôme. Faut bien s’occuper. Le choix n’est pas gratuit. D’abord parce que j’adore cette grande comédienne ayant un sens du comique exceptionnel. Ensuite, parce qu’en ces temps un peu bizarres, j’ai eu envie de replonger dans ces années 1960-70, celles d’une certaine légèreté, époque de la fin des trente glorieuses où tout coulait encore à flots, l’argent, le travail, l’insouciance et la liberté.
La reine des entrées
Je voulais vous faire une chronique sur les entrées scéniques de Maria Pacôme. Car elles sont inimitables et totalement impensables aujourd’hui. Cela cabotinait fort. Elle entrait tonitruante, dans de longs cris ou un silence qui en disait long, comme dans « Interdit au public » où elle jetait son manuscrit à la tête de Le Poulain pour ressortir tout de suite. Elle tournait sur elle-même, traversait plusieurs fois la scène, sous le regard attentif, voire ébahi, de ses partenaires, s’arrêtait, regardait le public et récoltait les applaudissements.
Star d’Au théâtre de ce soir
Puis arrivait sa première réplique, en général extrêmement anodine, lancée dans les aiguës, puis venait la rupture de ton qui faisait toute la saveur du jeu du vaudeville. Elle était bonne dans ce style la Pacôme. On lui faisait jouer des rôles de bourgeoise fofolle, excentrique, évaporée, voire complètement allumée. Elle portait de belles tenues, signée Donald Cardwell, car elle avait une sacrée silhouette. C’était une belle femme. Cela ne la gênait pas de jouer les mères de famille, même nombreuse comme dans De doux dingue ou Le don d’Adèle. Même si à chaque fois dans la pièce il était précisé qu’elle les avait eus jeune. Tout semblait naturel.
Une rencontre inoubliable
J’ai eu la chance de la rencontrer et même de déjeuner avec elle. Ces jours-là sont marqués dans ma mémoire. Dans la vie, elle n’était pas si loin de ce personnage, même si elle était remplie de doute et d’inquiétude. Notre première rencontre était pour le journal de starter, « Tatouvu ». Elle répétait, alors, son seule en scène « L’éloge de ma paresse ». Pétrifié par le trac, les angoisses d’un spectacle en création, l’entrevue avait été courte, je n’avais pas assez de matière et elle m’avait fait confiance pour broder.
Elle avait été touchée par l’article, et lorsque est sortie son livre « Maria, sans Pacôme », j’avais demandé à son service de presse de l’interviewer pour le Pariscope, elle avait tout de suite accepté et proposé que l’on déjeune ensemble. Ce fut au restaurant du Lutécia, des huîtres et du champagne, entre deux « vieilles copines ». J’étais sur un nuage.
Une Madelen de Proust
Depuis quelques jours, quelque peu mélancolique, j’ai regardé les pièces qui se trouvaient sur la toile. Merci à l’Ina et son nouveau portail, Madelen. Du côté d’Au théâtre ce soir, il y a quatre pièces : Interdit au public, L’amant de Madame Vidal -que vous pouvez éviter – , le cultissime Le noir te va si bien et Le don d’Adèle. Ces pièces ont vieilli, mais demeurent attachantes. Vous pouvez aussi regarder dans la collection « A bout portant », une émission de Pierre Bouteiller. Ce grand journaliste nous offre un portrait assez original de la comédienne, et on la voit interpréter, entre autres, Un mot pour un autre de Jean Tardieu.
Duo explosif
Et puis, parce qu’on en a tous rêvé, je vous invite à regarder sur Youtube®, 11 mn d’un film intitulé Que personne ne sorte réunissant Maria Pacôme et Jacqueline Maillan, avec des répliques hautes en couleurs.
En écrivant ces derniers mots, j’ai regardé le chat et lui ai annoncé : « demain, on se refait tout Maillan ». Il m’a toisée avec inquiétude, car cela risque de prendre du temps et surtout de déteindre beaucoup sur mon comportement de confinée
Très jolie chronique en mémoire de cette extraordinaire femme que j’ai admiré très tôt, au temps de « Au théâtre ce soir », et qui m’a donné envie de faire ce métier.