Alors que le mistral, violent, tourbillonne dans la cour du Palais des Papes, Isabelle Huppert dans une robe rouge coquelicot, dont les pans virevoltent dans tous les sens, brave les éléments. Droite, frêle, elle déclame avec délectation et amusement les textes crus du sadique marquis, combinés avec jubilation et intelligence par Raphaël Enthoven. La voix de la comédienne reconnaissable entre toutes résonne avec forces et fracas contre les murs ancestraux. L’instant est magique, inoubliable.
L’argument : Et si Justine et Juliette étaient la même personne? Et si la vertu de l’une et le cynisme de l’autre n’étaient que l’envers et l’endroit d’une seule âme ? Tel est le pari du montage de Raphaël Enthoven qui, s’appuyant sur Justine ou les Malheurs de la vertu et L’Histoire de Juliette ou les Prospérités du vice, met en dialogue deux visions du monde qui sont aussi deux dispositions du caractère.
La critique : Après la chaleur harassante, écrasante de ces derniers jours, le vent souffle sur Avignon. Il s’immisce partout. Il fait virevolter les affiches dans les rues. On espérait une accalmie dans la soirée. Il n’en sera rien. Le mistral s’engouffre avec violence dans la cour du Palais des Papes. Il tourbillonne. Alors que pas un siège ne semble libre, que le public attend dans un silence pesant, une voix de femme s’élève forte et ferme. Elle est reconnaissable. C’est celle d’Isabelle Huppert exceptionnellement en Avignon pour lire Juliette et Justine, le vice et la vertu, un montage fait par Raphaël Enthoven à partir de deux romans du marquis de Sade L’Histoire de Juliette ou les Prospérités du vice et Justine ou les Malheurs de la vertu.
Les éléments contraires n’empêcheront pas la chétive et fragile comédienne d’entonner avec plaisir, amusement et jubilation les textes crus et cruels de Donatien de Sade, qui en choqueront plus d’un. Qu’importe, brochure à la main, elle abandonne le sage lutrin pour braver ce vent qui s’engouffre dans sa robe et fait virevolter ses cheveux autour de son visage. Le sourire aux lèvres face à cette danse burlesque que les feuilles lui font subir, telle une enfant, elle cabotine. Si quelques bourrasques font vaciller sa silhouette d’adolescente, rien n’arrêta la douce et ronronnante mécanique du judicieux montage créé par Raphaël Enthoven.
Les deux romans s’enchevêtrent parfaitement et ne font plus qu’un. Ainsi, Tour à tour, Isabelle Huppert incarne les deux sœurs orphelines : Juliette et Justine. L’une légère qui glissera sans l’once d’un remord vers le vice et la luxure, l’autre pieuse et naïve qui ne croit qu’en la vertu et subira tous les outrages avec patience et dévotion. De cette dualité, la comédienne joue, modulant sa voix claire et particulière et transformant les expressions de son visage. Cet effet est renforcé par le subtil jeu de lumières de Bertrand Killy. Qu’elle soit mutine, apeurée, terrifiée, épicurienne ou candide, les mots grivois et obscènes sortent avec délectation et exaltation de sa bouche.
Au bout d’une heure dix, frigorifiée, échevelée, la comédienne finira cette lecture avec impertinence et bravoure en concluant que le vice est le seul moyen d’atteindre le bonheur. Le public comblé lui offrira une belle ovation… Magique !…
Festival d’Avignon In
Juliette et Justine, le vice et la vertu
Cour d’Honneur du Palais des Papes
84000 Avignon
durée 1h10
lecture de textes du Marquis de Sade
Textes réunis par Raphaël Enthoven
Avec Isabelle Huppert