Au théâtre du Rond-Point, Jean-Michel Rabeux s’attaque à la grande faucheuse. Il tente de la conjurer avec un peu de poésie, beaucoup d’humour et une pointe de dérision. Entre réalité triviale et promesse d’un ailleurs plus doux, il signe un spectacle troublant sur la fin de vie.
En 2018, Jean-Michel Rabeux et sa compagne Claude Degliame assistent impuissants à la mort d’un de leur ami proche. Sa déchéance sert de point de départ à la dernière création du dramaturge français. Il se nourrit des mots, douloureux ou cocasses, échangés, ceux des proches, du personnel de santé, et en tire une matière théâtrale.
Décrépitude annoncée
Avec beaucoup d’irrévérence, un peu de mysticisme, il dépeint les derniers jours de Lear, (épatant Olav Benestvedt), un grand comédien selon ses dires, qu’une maladie dégénérative prive petit à petit de ses facultés mentales. Retombant en enfance, il fait vivre à Pénélope (impayable Claude Degliame) sa femme, à ses amis, l’enfer. Violent, insolent, il perd les filtres sociaux pour dire enfin tout ce qui pense. Les aidants, les survivants, racontent ce terrible déclin sans en omettre le sordide, le moche, le vilain.
Poésie de la trivialité
Entremêlant quelques balades musicales, quelques pas de danse à son récit fragmenté, Jean-Michel Rabeux cherche à déjouer cette ombre noire qui plane, cette faucheuse qui se rapproche dangereusement. Il en fait un personnage de farce, une entité drolatique. Les mots sont crus, les situations burlesques, viles parfois. Loin de tomber dans le potache, le « pipi-caca », il s’appuie sur la très belle installation en plume d’Isa Barbier pour donner à l’ensemble une légèreté, une beauté singulière.
La vie à tout prix
Prenant le parti pris de la lenteur, Rabeux fait durer l’agonie de Lear, quitte à perdre par intermittence le spectateur. Sa mise en espace, épurée, sobre, son choix d’un jeu tant naturaliste que rêche ou égrillard, séduisent et captivent. Au diapason, le quintet d’artistes – Claude Degliame, Olav Benestvedt, Yann Métivier, Georges Edmont et Juliette Flipo – repousse tristesse morbide et mélancolie et fait de la mort une fête burlesque.
Bien que se perdant en quelques digressions et longueurs, Les derniers jours est un puissant cri d’amour à la liberté. Un beau moment de théâtre, une leçon de vie !
Olivier Frégaville-Gratian d’Amore
Les derniers jours de Jean-Michel Rabeux
Théâtre du Rond-Point
Salle Jean Tardieu
2bis av Franklin D. Roosevelt
75008 Paris
Jusqu’au 22 mars 2020
du mardi au samedi à 21h00 et le dimanche à 15h30
Durée 1h30
Mise en scène de Jean-Michel Rabeux assisté de Sophie Rousseau
Avec Olav Benestvedt, Claude Degliame, Yann Métivier, Georges Edmont & Juliette Flipo
Musiques de Juliette Flipo & Teddy Degouys
Installation d’Isa Barbier
Lumières de Jean-Claude Fonkenel