Dans une salle transformée pour l’occasion en sauna géant, David Bobée donne à lire à son égérie Béatrice Dalle, un poème érotique composé par l’auteur Ronan Chéneau. Donnant chair et sensualité aux mots déclamés avec fièvre, la performance des deux acrobates virtuoses est, sans contexte, le principal intérêt de ce spectacle torride et ovniesque.
Des miroirs en fond de scène renvoient au public qui s’installe sa propre image. Côté jardin et côté cour, des murs de spots se font face et montent en quelques minutes la température du plateau à plus de 45 degrés. Des coulisses, une silhouette familière apparait. Jean serré, tee-shirt large, échancrée dévoilant sa généreuse poitrine, Béatrice Dalle prend possession de la scène. Elle fait le tour du propriétaire, s’approche du pupitre laissé là à son intention. De sa voix unique, chaude, elle déclame le rêve sexué imaginé par le dramaturge Ronan chéneau. Pause lascive, mains caressant sa peau, la muse de David Bobée fait corps avec les mots, qu’elle scande au rythme des beats de la musique techno signée Frédéric Deslias.
Malgré sa nature incandescente, Béatrice Dalle finit par se fondre dans le décor, éclipsée par l’entrée d’Edward Aleman et Wilmer Marquez, deux circassiens d’origine colombienne. Beaux à se damner, leurs corps athlétiques se jaugent, se cherchent, s’attrapent et s’enlacent. Pas de deux, portés, donnent du relief au poème, l’ancre dans une réalité charnelle. La chaleur monte d’un cran. La touffeur se fait sensuelle, excitante, vibrante. Ballet homo-érotique aux allures de close-combat, leur danse fascine, hypnotique. Calquant leur mouvement sur le texte, bandant leurs muscles à l’extrême, les deux acrobates rivalisent de virtuosité. Leur chair transpirante, moite, se frôle, se colle.
Essoufflés, fatigués, dégoulinant de sueur, leurs gestes se font de plus en plus fébriles. Les figures acrobatiques de plus en plus vacillantes. Les prises malgré la poudre de magnésite, qui recouvre le plateau, de plus en plus malaisées. Gorge sèche, le public magnétisé retient son souffle. Peau contre peau, il se dégage de ce corps à corps une tension fascinante, caressante.
Au fil du temps qui s’écoule, les mots reprennent sens, se refont entendre. La partie à trois, une femme, deux hommes prend vie. La voix haletée de Béatrice Dalle se fait saccadée. La jouissance est proche, elle affleure par tous les pores, toutes les pensées.
Surchauffés, transpirants, exsangues, les spectateurs se laissent transporter par ce fantasme éveillé, ce songe d’une chaude nuit d’été. Sculptant les corps, les lumières blanches, cuivrées de Stéphanie Babi Aubert contribuent aux vertiges que provoquent chaque tableau et font oublier un texte quasi inaudible. Warm est une expérience unique, déroutante qui doit beaucoup aux deux acrobates, à la mise en scène ciselée et à la scénographie épurée de David Bobée. Un spectacle « chaud » à ne pas mettre devant tous les yeux.
Olivier Frégaville-Gratian d’Amore
Warm de Ronan Chéneau
Théâtre du Rond-Point
Salle Jean Tardieu
2bis av Franklin D. Roosevelt
75008 Paris
Jusqu’au 5 janvier 2020
du mardi au dimanche à 19h – relâche : les 15 et 25 décembre ainsi que le 1er janvier
Durée 55 min
Installation et direction de David Bobée
Avec Béatrice Dalle, les acrobates Edward Aleman et Wilmer Marquez
Lumière et installation de Stéphanie Babi Aubert
Musique de Frédéric Deslias
Assistanat à la mise en scène Sophie Colleu
Régie plateau de Christophe Rodriguez
Régie son de Felix Perdreau
Construction de Salem Ben Belkacem
Crédit photos © Arnaud Bertereau Agence MONA