Ayant repris les rênes de la compagnie après la disparition de son charismatique fondateur en 2007, Gil Roman imagine, en ouverture du festival de Danse Cannes Côte d’Azur, un diptyque faisant le pont entre les époques, conviant futur, présent et passé. De sa toute nouvelle création à une suite d’extraits signés par le maître, le chorégraphe alésien invite à un voyage dansé émouvant et festif. Un ballet entre émancipation et hommage vibrant.
Pas facile de succéder à la personnalité magnétique de Maurice Béjart. Son regard perçant, sa vision d’un monde en mutation, sa manière unique de capter l’air du temps, ont fait de son œuvre monstre, pas moins de 300 créations, un précipité chorégraphié d’une époque, de plusieurs générations rêvant autrement que leurs aïeuls. Avec persévérance, ténacité, pugnacité, Gil Roman a su prendre ses marques au sein de la compagnie fondée en 1987 par le maître. Reprenant inlassablement le répertoire, il a, imperceptiblement amené sa touche, moins caustique, moins ironique, plus sentimentale.
En présentant au Palais des Festivals de Cannes, sa dernière création, Tous les hommes presque toujours s’imaginent, il montre à quel point il a su s’approprier la patte Béjart sans pour autant l’imiter. S’inspirant de rituels païens, de danses du monde, il invite à un conte fantastique, mystique célébrant l’amour, la communion des corps, des âmes. Tout comme son maître, il est minimaliste sur sa note d’intention, il préfère laisser libre court à l’imagination de chacun. Certains y verront une fable écologique où un peuple exsangue trouve refuge dans un Eden enchanté, d’autres une sorte de Roméo et Juliette moderne, où deux nations qui s’opposent, finiront par être réunies par l’amour de deux êtres (ténébreux Vito Pansini, irradiante Jasmine Cammarota).
L’écriture est limpide, les enchaînement ciselés. Pas de deux, solos, danses de groupe, le public se laisse porter par les arabesques, le verbe riche, précis. Les corps se meuvent ensuivant la musique envoûtante de John Zorn. Mouvements saccadés, gestes ralentis, accélérés, c’est tout un glossaire qui défile, tout un univers où l’on distingue en filigrane la grammaire de Béjart, mais qui surtout laisse transparaître la plume de Gil Roman. Au lieu de tuer le père comme les autres chorégraphes formés par le maître, le chorégraphe originaire d’Alès s’appuie sur ce qu’il a appris pour inventer sa propre pensée, son propre langage. La magie opère. La salle est sous le charme. La troupe virtuose ensorcèle emmenés par les présences rayonnantes des anciens, Julien Favreau, Elisabet Ros, mais aussi par la fougue étincelante de Fabrice Gallarrague, Lisa Cano, Javier Casao Suarez ou Carme Andres.
Après cette lumineuse première partie, Gil Roman propose un condensé des œuvres phares de la compagnie, comme il le dit lui-même, « c’est moins un hommage, qu’un dialogue charnel, dansé entre la compagnie et son créateur disparu. » Si les costumes semblent quelque peu datés, les spectateurs se laissent guider dans ce voyage immobile à travers le temps, l’espace. S’inspirant des danses indiennes des pas Yiddich, s’appuyant sur un solide glossaire classique, les extraits choisis offrent un large panel du travail de Maurice Béjart.
Porté par les danseurs de la compagnie, qui s’en donnent à cœur joie, le Béjart Ballet Lausanne fait vibrer les murs du Palais festival et en ce mois de novembre ouvre le festival de danse Cannes Côte d’Azur sous de bien heureux auspices.
Olivier Frégaville-Gratian d’Amore – envoyé spécial à Cannes
Festival de Danse Cannes Côte d’Azur
Palais des Festival de Cannes
du 29 au 30 novembre 2019
Avec la troupe du Béjart Ballet Lausanne
Tous les hommes presque toujours s’imaginent
Création 2019 – Première en région
Chorégraphie : Gil Roman – Musique : John Zorn
Collaboration vidéo : Marc Hollogne
Béjart fête Maurice
Chorégraphie : Maurice Béjart – Mise en scène : Gil Roman
Musique : Ludwig van Beethoven, Anton Webern, Richard Heuberger, Johann Strauss, Gioachino Rossini, Hugues Le Bars, musiques traditionnelles juives, indiennes, africaines et pygmées
Crédit photos © Grégory Batardon et © Lauren Pasche