Conçue comme un point final explosif à la carte blanche bruxelloise, que lui avait offert l’automne dernier, La Monnaie, le Bozar et le Kanal-Centre Pompidou, La Vita Nuova est une performance radicale, un rite exalté signant la mort de l’art contemporain pour un plus décoratif indissociable et constitutionnel de notre nouvelle humanité. Un show messianique puissant qui met la Villette en transe.
Dans les profondeurs d’un sous-sol, des voitures sont alignées. Protégées par d’immenses bâches ivoirines, elles semblent avoir été garées en ce lieu froid, sordide, imaginé par le duo Istvan Zimmermann – Giovanna Amoroso, pour l’éternité. Elles sont le vestige d’un temps révolu. Surgissant de l’obscurité, un immense black, tout de blanc vêtu fait sa ronde, vérifie que ce singulier sanctuaire n’a pas été profané.
Personne à l’horizon, le monde s’est endormi. Il est temps de prêcher la bonne parole, d’expurger nos sociétés de ce qui les salit, les avilit. Se débarrassant de ces habits civils, le sculptural gardien se glisse dans sa tenue pour le cérémonial à venir. Robe blanche, chaussures à talons, homme dans son allure, femme dans sa vêture, il devient un être asexué, un adepte, un fidèle d’une nouvelle religion anticonformiste qui réfute la relégation au rang de mineur, les pensées, les œuvres faites par des femmes, des « effiminées ».
Rejoint par quatre autres croyants, il psalmodie en silence. Les gestes sont précis, les mouvements millimétrés. Transformant ces catacombes de l’industrialisation à outrance, en église, il invite le public debout à communier avec eux, à se laisser hypnotiser par ce rituel fantomatique. La musique entremêle les cliquetis métalliques, les sons mécaniques sourds, amplifiés. Le brouhaha envahit l’espace, enveloppe les âmes. Les lumières blafardes ou stroboscopiques soulignent la transe de ces êtres errant dans ce cimetière de voitures.
L’art est mort, l’art est vivant. Tel un phénix, un aigle, un corbeau, il renaît de ces cendres. Renversant les carcasses des automobiles, nos cinq apôtres de cette ère nouvelle hypnotisent les spectateurs, les convertissent à la pensée castelluccienne. La symbiose des êtres est palpable, enivrante. Véritable performance artistique, La Vita Nuova conjugue habillement la plume ciselée, réaliste de Claudia Castellucci et la virtuosité poétique de Roméo Castellucci à mettre objets, accessoires et comédiens en espace, à créer des tableaux frappants.
Rien n’est dû au hasard. Tout est fait pour secouer, obliger le public à réfléchir. Comme, il le dit lui-même, il ne cherche pas à apporter une réponse à un état de fait, mais à poser le symptôme, à l’exposer pour que chacun l’interprète à sa manière et cherche en lui une solution.
La Vita Nuova est une immense fresque prophétique, une interrogation sur nos sociétés, notre humanité. Une œuvre d’art bouleversante, féministe, un hymne à la beauté, à la tolérance, à l’ouverture d’esprit.
Olivier Frégaville-Gratian d’Amore
La Vita Nuova de Romeo Castellucci
Dans le cadre du festival d’automne à Paris
Grande halle de la Villette
211 avenue Jean – Jaurès
75019 Paris
jusqu’au 24 novembre 2019
Durée 50 min environ
Conception et mise en scène de Romeo Castellucci
Texte de Claudia Castellucci
Musique de Scott Gibbons
Avec Sedrick Amisi Matala, Abdoulay Djire, Siegfried Eyidi Dikongo, Olivier Kalambayi Mutshita, Mbaye Thiongane
Décor d’Istvan Zimmermann & Giovanna Amoroso – Plastikart studio
Réalisation des costumes de Grazia Bagnaresi
Crédit photos © Stephan Glagla