Place Stanislas, sous les ors de l’Opéra de Nancy, Olivier Dubois fait danser le ballet de Lorraine en académiques roses sur une partition méconnue et radicale de Steve Reichs. Effet hypnotique et itératif au rendez-vous !
Corps pliés, coude gauche posé sur le genou, les vingt-trois danseurs du corps de Ballet du CCN de Lorraine sont immobiles, impassibles. Rompant le silence, une voix masculine récite en boucle et de manière de plus en plus accélérée, « I had to, like, open the bruise up and let some of the bruise blood come out to show them. » Elle est la base de Come out, l’une des premières œuvres du compositeur américain Steve Reich. Écrite en 1966, elle préfigure le style de la musique de phase au sein de la musique minimaliste.
Exploitant le principe de phasage et déphasage des bandes magnétiques, il imagine, suite à la commande d’un militant du mouvement des droits civiques, ce morceau radical en soutien aux « Harlem Six », un groupe de jeunes afro-américains inculpés pour un meurtre commis lors des émeutes de Harlem de 1964. Bien qu’un seul soit coupable, tous furent condamnés avant d’être battus par la police. Le compositeur puise dans les dix heures de témoignage la matière première à sa création. Il n’en tire qu’une phrase celle dite par Daniel Hamm, un des accusés à tort.
S’inspirant de cette étonnante séquence itérative, Olivier Dubois utilise comme fondement de sa chorégraphique, un seul et uniquement mouvement, qu’il répète à l’envi. Jouant des variations, offrant à chacun des interprètes la possibilité de lui donner sa propre impulsion, il signe une pièce magnétique, physique, qui s’appuie sur la rythmique musicale rappelant étrangement celle d’un cœur qui palpite. Épuisant les corps par ce geste délié partant des épaules et allant jusqu’au bassin, il illusionne le spectateur, l’hypnotise. Malheureusement faute de chair, de corps, d’âme, le ballet sec, rêche, trop millimétré, laisse une partie des spectateurs de côté.
Reste, la performance qui est indéniable, la virtuosité avérée des vingt-trois danseurs. C’est peut-être là que le bât blesse. A trop unifier le corps de ballet, a trop étirer son style, rien n’attrape, ne saisit. Aucun ne sort de lot. Tous moulés dans leurs académiques roses se ressemblent. C’est une masse compacte, fusionnée. La technique est là. Dommage que chacun ne puisse exprimer plus son art, sa personnalité.
Olivier Frégaville-Gratian d’Amore
Come Out d’Olivier Dubois
Ballet de Lorraine
Créé le 13 novembre 2019 à l’Opéra national de Lorraine
Place Stanislas
54000 Nancy
Chorégraphie et scénographie d’Olivier Dubois
Musique de Steve Reich
Arrangements par Olivier Dubois et François Caffenne
Avec Jonathan Archambault, Esther Bachs Viñuela, Alexis Bourbeau, Justin Cumine, Giuseppe Dagostino, Charles Dalerci, Inès Depauw, Flavien Esmieu, Angela Falk, Nathan Gracia, Léo Gras, Inès Hadj-Rabah,Tristan Ihne, Vivien Ingrams, Matéo Lagière, Margaux Laurence, Valérie Ly-Cuong, Emilie Meeus, Elsa Raymond, Rémi Richaud, Ligia Saldanha, Willem Jan Sas, Céline Schoefs, Luc Verbitzky
Lumières de’Emmanuel Gary
Collaboration artistique de Cyril Accorisi
Costumes d’Olivier Dubois et Martine Augsbourger et les ateliers cosutme du CCN – Ballet de Lorraine
Répétitrice Valérie Ferrando
Crédit photos © Laurent Philippe