Les troupes allemandes menacent Paris. L’occupation n’est plus qu’une question de jours, de semaines peut-être. Les habitants se jettent sur les routes de l’Exode. De sa plume précise, concise, Irène Némirovsky conte ses heures tragiques. C’est d’ailleurs ce qui saisit à la lecture du livre, la connaissance extrême et si juste que possède la romancière d’origine russe, arrivée en France en 1919, de cette France en guerre et surtout de ces « excellents Français ». Elle dresse, dans un style superbe et d’une véracité étonnante, le portrait d’un pays en déroute. Ces personnages ne sont pas des héros, mais des gens ordinaires en prises avec leurs peurs, leurs lâchetés, leurs égoïsmes, leurs petitesses.
Adapter au théâtre un roman est un art difficile et demande une certaine agilité pour faire vivre scéniquement ce qui a été conçu pour la littérature. Incontestablement Virginie Lemoine et Stéphane Laporte possèdent ce talent. Leur montage est brillant et on y retrouve toute la pertinence du livre, toute sa truculence, sa force caustique, narrative. Pour cet exercice, ils ont choisi une seule voix, celle d’un narrateur qui incarne, tour à tour, tous les personnages de l’histoire. lIs prennent corps devant nous, on sentirait presque la brise d’un soir d’été, le bruit des avions sur nos têtes…
Franck Desmedt est prodigieux, bien sûr on peut parler d’une performance, mais préférons à ce terme celui de travail d’orfèvre. Tout est si bien ciselé, il passe d’un personnage à l’autre, d’une ambiance à l’autre, sans jamais nous perdre, se faufilant dans tous les recoins des sentiments de personnages, dans leurs attitudes, soulignant d’un trait ce qui fait leurs particularités. Il est seul et pourtant ils sont tous là, même le chat ! Desmedt nous transporte par la qualité de son jeu, nous faisant passer par toute la gamme des émotions. C’est formidable.
La mise en scène commune de Virginie Lemoine et Stéphane Laporte est de toute beauté. Avec l’aide des illustrations de Sylvain Bossut, dont le trait peut évoquer celui d’un Tardi, les lumières de Denis Koransky, la musique de Stéphane Corbin, ils ont construit, un écrin dans lequel le comédien, avec un bonheur gourmand, nous transporte et nous bouleverse. C’est magnifique. Et si le coeur vous en dit, continuez votre soirée Némirovsky au la Bruyère, en assistant à une représentation de Suite française.
Marie-Céline Nivière
Tempête en juin d’après le roman d’Irène Némirovsky
Théâtre de la Bruyère
5, rue de la Bruyère
75009 Paris
Jusqu’au 4 janvier 2020
Durée 1h15 environ
Mise en scène de Virginie Lemoine et Stéphane Laporte
Avec Frank Desmedt
Illustrations de Sylvain Bossut
Lumières de Denis Koransky
Musique de Stéphane Corbin
Créations sonores de Vincent Lustaud
crédit photos © DR