Michel Bouquet, portrait craché au Poche-Montparnasse

Sans chercher à le singer, l’imiter, l’élève d’Aboville se glisse dans la peau du maître Bouquet. Reprenant les mots savoureux que le comédien a échangés avec Charles Berling, à l’occasion du tournage en 2001 de Comment j’ai tué mon père d’Anne Fontaine, le spectacle esquisse le portrait impressionniste d’un homme rare, vrai, qui manipule avec virtuosité l’autodérision. Un bijou de tendresse et de malice.

On devine dans les clairs obscurs, sa présence presque fantomatique, à peine évoquée, esquissée. Stature de géant, visage bonhomme, Michel Bouquet, bien qu’absent, hante la scène dépouillée du Poche-Montparnasse. Tout respire le tragédien, le comédien. Il est là dans le décor minimaliste, dans les tournures de phrases, dans le langage, dans les silences. 

Loin de l’imiter ou de le caricaturer, Maxime d’Aboville, seul sur le plateau, s’empare de l’essence même de l’artiste qui lui a mis le pied à l’étrier, non pour lui rendre hommage, mais bien pour le remercier. C’est une rencontre, il y a de cela plus de 10 ans, qui est à l’origine d’une vocation mais aussi d’un désir quasi filial d’offrir à son mentor, un spectacle unique, rare, où l’homme timide, drôle, fragile, se dévoile derrière l’acteur, où le maître se raconte sans fard à travers le jeu vibrant de l’élève émerveillé.

Dès les premiers mots, on reconnaît le phrasé de Michel Bouquet, sa manière douce, décapante, d’aborder l’existence. Enfant chétif, ayant subi les quolibets de ses camarades, il grandit à l’ombre d’un père meurtri par les deux guerres mondiales et une mère aimante, très présente, presque paternaliste. Faisant des petits boulots, il se satisfait de peu. La vie est bien cruelle, mais l’art dramatique va être sa planche de salut, son refuge. Derrière le masque du comédien, le maquillage, les costumes, les effets scéniques, il se sent pousser des ailes. 

Confiant ses doutes, ses réflexions sur le métier, sur sa carrière, ses amours, à Charles Berling, dont il joue le père en 2001 devant la caméra d’Anne Fontaine, Michel bouquet se livre par touches. Ces entretiens uniques font l’objet d’un livre les Joueurs, publié dans la foulée. De cette matière riche, où le comédien parle de Sautet, de ses rencontres déterminantes avec Maurice Escande, Albert Camus ou Gérard Philipe, de l’amour qu’il porte à sa dernière femme Juliette Carré, à ses enfants qu’il considère comme les siens, Damien Bricoteaux tire une matière théâtrale qu’habite merveilleusement Maxime d’Aboville.

Parfois le ton s’emballe, l’émotion certainement, mais le plus souvent, il joue juste, clair, s’amuse des bons mots de son ainé, de son autodérision désarmante, désopilante. Il campe le vrai gentil, l’homme doux, délicat, l’homme de scène, qui toujours sur le métier reprend son ouvrage, qui, jamais satisfait, cherche toujours à aller au-delà du rôle, pour ne faire qu’un avec lui, à essayer de le comprendre, même si c’est le pire des salauds. 

On rit, on pleure, on découvre l’être délicieux, fin que l’on subodore, que l’on imagine. Avec peu, Maxime d’Aboville fait beaucoup. Il déroule fil après fil l’histoire d’une vie. Et pas la moindre celle du grand Bouquet. 


Je ne suis pas Michel Bouquet de Michel Bouquet d’après Les Joueurs, entretiens avec Charles Berling (Éditions grasset)
Théâtre de Poche-Montparnasse
75 boulevard de Montparnasse
75006 Paris
Jusqu’au 4 janvier 2020
Du mardi au samedi à 19h
Durée 1h05 environ


Mise en scène de Damien Bricoteaux
Avec Maxime d’Aboville
Décor Marguerite Danguy des Déserts
Lumières François Lioseau

Crédit photos © Victor Tonelli

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