Loin d’un parcours classique à la rencontre des peintures de la Renaissance italienne, l’exposition présentée au Musée Jacquemart-André est une plongée dans l’univers d’un homme passionné, un dandy florentin, une sorte d’archéologue de l’art. Féru de l’œuvre du Caravage et de ses disciples, Roberto Longhi n’aura de cesse, toute sa vie durant, de rassembler des tableaux du maître, voire de lui en réattribuer certains, non signés. C’est cette quête étonnante, cette immersion totale dans l’histoire de l’art qu’on nous propose de suivre en quelques chefs-d’œuvre… Devant leur beauté et leur (trop) petit nombre, un sentiment de manque se fait vite jour… C’est malheureusement l’apanage de ces lieux sublimes autant qu’exigus.
L’argument : l’exposition présente les grands noms de la peinture italienne, du XIVe au XVIIe siècle, redécouverts par Roberto Longhi (1899/1890-1970), l’une des personnalités majeures de l’histoire de l’art italien. Giotto, Masaccio, Masolino, Piero della Francesca, Ribera, Caravage…, autant d’artistes de premier plan qui seront ainsi mis en lumière. Aux œuvres issues de la Fondation Roberto Longhi, présentées pour la première fois en France, répondront les œuvres prêtées par les plus grands musées français et italiens. Un dialogue inédit entre ce grand connaisseur et ses passions artistiques.
La chronique : bijou architectural de la fin du Second Empire, le Musée Jacquemart-André est doté d’une riche collection d’objets d’art du XVIIIe siècle et de nombreux tableaux de maîtres. Passionnée de peinture italienne, Nélie Jacquemart, artiste à ses heures perdues, a voué une partie de sa vie et de sa fortune à rassembler un grand nombre d’œuvres transalpines allant des primitifs des XIVe siècle et XVe siècle jusqu’à à la Renaissance. Dans cette collecte, elle fut aidée par un homme d’érudition, historien d’art, Roberto Longhi.
Juste retour des choses, ce bel écrin du boulevard Hausmann consacre, aujourd’hui, une exposition à cet expert de l’art italien, ce détective dont la vie fut une quête permanente à la (re)découverte d’œuvres perdues. Fervent admirateur de l’œuvre du Caravage, c’est tout logiquement par un de ses emblématiques tableaux que débute le parcours. Le visage étrangement tordu par la douleur, Le Garçon mordu par un lézard fixe de son regard figé, surpris, les visiteurs saisis d’effroi par la troublante beauté qui émane de cet enfant.
En s’éloignant du classicisme et du naturalisme en vogue dans l’Italie du XVIIe siècle, Le Caravage va révolutionner la peinture en lui donnant profondeur, inspiration, relief et humanité. Son style unique s’appuyant largement sur le contraste entre lumière et ombre, sur la magie du clair obscur, marquera à jamais l’histoire de l’art. Son influence qui fit nombre d’émules, traversant les frontières et les siècles, fascinera Roberto Longhi qui en fera son sujet de thèse. Très vite, il deviendra le spécialiste incontesté du maître, lui ré-attribuant quelques œuvres. C’est autour de cette quête que s’orchestre l’exposition.
Nouvelle approche, nouveau regard, Roberto Longui apporte son expertise, bousculant convenances et certitudes, révolutionnant la manière d’appréhender l’art italien. S’il s’intéresse beaucoup au « caravagisme » et à ses disciples, dont quelques tableaux provenant de sa collection personnelle égrènent le parcours qui suit sa démarche artistique, le dandy italien explore aussi les primitifs qui, au début du XIVe siècle, renouvellent les techniques picturales.
Ainsi, de magnifiques panneaux de bois signés Giotto côtoient un étonnant Masaccio, qui rivalise avec un sublime Piero della Francesca. En quelques tableaux, le spectateur est immergé dans une part de la quintessence de la peinture italienne. La sobre scénographie souligne l’élégance des lignes, les éclatantes couleurs, les étonnantes perspectives et la magnificence de ces chefs-d’œuvre.
Le parcours se poursuit, mêlant art moderne (Roberto Longhi fut un fervent admirateur de Pier Paolo Passolini dont est exposé ici un portait représentant notre passionnant conservateur), et œuvres inspirées du travail du Caravage, comme ces Stomer et ces Preti qui viennent appuyer le travail de recherche de notre hôte. Enfin pour conclure ce fascinant voyage dans l’univers de Roberto Longhi, trois tableaux hypnotiques représentant des apôtres, peints par Ribera (deux autres étant visibles à l’exposition Velasquez au Grand palais) subjuguent par leur étonnante simplicité, le subtil et envoûtant jeu de lumières… C’est déjà fini. On peut le regretter, tant les œuvres présentées sont d’une rare beauté et rarement visibles aussi facilement… On aimerait continuer longtemps la balade en compagnie de ce passionnant homme qu’est Longui… Malgré une légère frustration, on est clairement conquis par cette singulière flânerie au cœur de l’art.
De Giotto à Caravage, les passions de Roberto Longui…
Musée Jacquemart-André
Paris 8ème
Jusqu’au 20 juillet 2015
Commissaire de l’exposition Mina Gregori, Maria Cristina Bandera, et Nicolas Sainte Fare Garnot.