Jusqu’en Janvier prochain, le musée de Grenoble présente une exposition consacrée aux œuvres que Picasso a réalisées dans Paris occupé. Persécuté par les nazis qui le considère comme un des chantres de l’art dégénéré, le peintre catalan s’évade en peignant ses angoisses, en affirmant un style sombre, âpre, en cherchant de nouvelles voies créatrices. Une plongée vertigineuse mois après mois dans les tourments de l’artiste.
Dès les premières salles, une impression noire, funeste assaille le visiteur. Les couleurs s’assombrissent, perdent leur éclat, leur vivacité. Les bruns, les noirs remplacent les jaunes, les rouges. Les corps se transforment, les visages familiers, dont celui de Dora Maar, l’amante, la muse, la photographe complice, ont perdu leur rondeur, ils sont totalement déformés, presque méconnaissables. Le flamboyant catalan a perdu sa joie de vivre, sa tranquillité d’esprit. Les nazis occupent Paris et font la chasse aux artistes qui ne rentrent pas dans leur norme, celle édictée par le IIIe Reich. Opposant art héroïque à art dégénéré, ils cherchent par tous les moyens à contraindre les créativités. En tout plus de 5 000 œuvres, dont certaines signées Klee, Kokoshka, Beckmann, ainsi que Picasso, seront saisies et vouées à la destruction. Un grand nombre sera sauvé de cet autodafé, grâce à des collectionneurs, tel Goebbels.
Dans ce climat de suspicion délétère, Pablo Picasso, alors confiné dans son atelier-refuge de la rue des Grands-Augustins, n’a d’autres choix pour s’évader que de laisser libre court à son imagination et de partir en pensée sur les chemins de traverse de voyages intérieurs. La mort devient omniprésente, des crânes d’animaux viennent s’inserrer dans ses tableaux, telle cette Tête de taureau rappelant ses racines espagnoles. Angoissé, triste, il peint de plus en plus noir, son style teinté d’inquiétude se fait plus rugueux, plus tourmenté. Les lignes deviennent plus géométriques. Loin de céder à la pression, il résiste, fait de son art une forme d’arme contre les diktats. C’est un vrai tournant dans sa carrière qui s’opère. Il transpose dans ses toiles, ses portraits, ses natures mortes, les duretés de la guerre, les privations, certaines inspirées de faits rééls, comme ce Chat carnassier symbolisant la prise de Prague par les Allemands. Il s’en moque, s’en amuse. Il peint ainsi un petit garçon facétieux tenant à la main, un homard, met introuvable avec les tickets de rationnement.
Humaniste, il répond aux injections allemandes, aux attaques que subissent ses contemporains, ses collègues par ce qu’il sait de mieux, dessiner, peindre. Le temps n’est pas à la fête, mais l’artiste ne perd pas espoir. Puisant dans son esprit de contradiction, dans cette énergie vitale qui caractérise son travail, il voit au-delà du noir, de l’abattement.
Réalisée avec la collaboration du Musée national Picasso – Paris, l’exposition Picasso au cœur des ténèbres (1939-1945), riche de 137 œuvres – peintures, dessins, sculptures, etc. – , invite à suivre le parcours créatif du maître espagnol, mois après mois, années après années. De Royan, où la vie est supportable, presque belle, à Paris, où il vit reclus, il ne cesse de produire et fait de son œuvre un témoin artistique de cette guerre, de cette occupation tant physique que morale, de la folie des hommes.
Olivier Frégaville-Gratian d’Amore – Envoyé spécial à Grenoble
Picasso au cœur des ténèbres (1939-1945)
Musée de Grenoble
5 Place de Lavalette
38000 Grenoble
Jusqu’au 5 janvier 2020
Tous les jours sauf le mardi, de 10h00 à 18h30
Crédit photos
Picasso, L’Aubade, 4 mai 1942 _ Huile sur toile, 195 x 265 cm – Centre Pompidou, MNAM-CCI, Paris © Centre Pompidou, MNAM-CCI, Dist. RMN-Grand Palais / Georges Meguerditchian _ © Succession Picasso 2019
Picasso, Femme en bleu, 25 avril 1944 _ Huile sur toile, 130 x 97 cm _ Centre Pompidou, MNAM-CCI, Paris © Centre Pompidou, MNAM-CCI, Dist. RMN-Grand Palais / Georges Meguerditchian _ © Succession Picasso 2019
Picasso, Chat saisissant un oiseau, 22 avril 1939 Huile sur toile, 81 x 100 cm _ Musée national Picasso -Paris _ © RMN-Grand Palais / Mathieu Rabeau _ © Succession Picasso 2019