Au TnBA, Solenn Denis clôture son triptyque sur la famille en apothéose. Après s’être interrogé sur la place du père dans Sstockholm, puis de la mère dans Sandre, elle questionne dans Scelŭs la fratrie. Plongeant comme à son habitude dans la fange de l’humanité, elle signe, avec son complice de toujours Erwan Daouphars, un « Freak show » punk et trash des plus délectables, une ode magnifique à la vie, à la différence.
Dans un décor noir jais, noir corbeau, rappelant les œuvres de Soulages, un homme prénommé Atoll (remarquable Erwan Daouphars) erre sans but, une corde à la main. Tout en nous contant son désespoir, il prépare un nœud coulissant. La fin est proche, elle est palpable. Le suicide est la seule issue. Pas doué pour vivre, il n’est pas plus chanceux dans la mort. Il se rate. Est-il encore conscient ? Rien n’est sûr. Son esprit vagabonde entre passé et présent, entre rêves, cauchemars et réalités.
Créatures singulières, êtres de chair et de sang, c’est tout un monde bien étrange qui s’ouvre à nous. Le Coryphée (troublant Nicolas Gruppo), comme dans les tragédies antiques, apparait. Jouant de la guitare, questionnant la fragilité de l’existence, il fait le lien entre la scène et la salle. Il guide les spectateurs dans les anfractuosités sombres de l’âme humaine. Appelant les différents protagonistes à rejoindre notre anti-héros, monstrueux, fiévreux autant que touchant, il révèle la vraie nature de chacun, le lourd secret familial à l’origine du mal.
A l’aube du quarantième anniversaire d’Atoll, mère étouffante (épatant Philippe Bérodot), sœur délurée (lumineuse Julie Teuf), viennent à leur manière fêter l’événement. Saillies drolatiques, répliques acerbes, elles viennent se repaître de l’homme à terre. Le sauver, peut-être ? le tourmenter certainement. Ayant grandi dans un mensonge qui le ronge, Il est tant que la vérité éclate, effrayante, salvatrice.
Plume ciselée, vive, Solenn Denis n’a peur de rien. Trash, punk, elle assume l’horreur, le sordide. Crue, directe, elle livre une fable noire, granguignolesque. Creusant toujours plus loin dans les méandres d’une humanité poisseuse, crasseuse, elle manie les mots avec élégance offrant aux marginaux, aux hors-normes, une belle tribune, une place de choix. Scrutant la vie des exclus, elle prône la différence, la revendique, en fait son étendard.
Aidée de son acolyte Erwan Daouphars, avec lequel elle a créé le collectif Le Denisyak en 2010, l’autrice va bien au-delà du texte, elle lui insuffle brillamment la vie. Contrastant avec la très épurée scénographie de Philippe Casaban et d’Éric Charbeau, sur les clairs-obscurs parfaitement maîtrisés par Yannick Anché et Fabrice Barbotin, Solenn Denis et ses comédiens -tous extraordinaires – osent tout. Politiquement incorrects, culs, ils y vont à fond. Et cela fait un bien fou. Mention spéciale à Julie Teuf qui irradie la scène de sa présence unique, éblouissante.
Si le rire n’est jamais loin du drame chez le duo du Denisyak, il passe avec Scelŭs. un nouveau cap se libérant de tout carcan, de toute contrainte. Secouant les bien pensances, il livre un uppercut théâtral qui dérange, une pièce ovniesque qui donne foi en la vie. Un hymne joyeux, foutraque, tragique à la différence.
Olivier Frégaville-Gratian d’Amore – envoyé spécial à Bordeaux
Scelŭs [Rendre beau] de Solenn Denis
TnBA
3 Place Pierre Renaudel
33800 Bordeaux
Jusqu’au 19 octobre 2019
Durée 1h45
Tournée
Les 17 et 18 décembre 3019 à La Passerelle, scène nationale de Saint-Brieuc
Les 25 et 26 mars au Théâtre des Îlets, CDN de Montluçon
En Avril 2020 au Festival Mythos, Rennes
Mise en scène du Denisyak – Solenn Denis & Erwan Daouphars assistés de Clémentine Couic
Avec Julie Teuf, Philippe Bérodot, Erwan Daouphars & Nicolas Gruppo
Scénographie de Philippe Casaban et Éric Charbeau
Lumière d’Yannick Anché et Fabrice Barbotin
Stagiaire lumière Alexiane Trapp
Son de Julien Lafosse
Chorégraphie d’Aurélie Mouilhade
Décor et costumes du Théâtre national de Bordeaux en Aquitaine
Crédit photos © Pierre Planchenault