Réunissant à la scène le sulfureux couple, désormais séparé, Béatrice Dalle et Joeystarr, David Bobée, directeur du CDN de Rouen – Normandie, vampirise Elephant Man, pièce de Bernard Pomerance, quitte à en faire trop. Offrant au rappeur de NTM, le rôle du monstre londonien, il sauve sa mise et séduit un public néophyte. Ce n’est pas si mal !
Difficile de passer à côté. Depuis des mois, l’affiche -glamour à souhait -, signée Jean-Baptiste Mondino, où les deux têtes brûlées de la pop culture française des trente dernières années, s’enlacent comme au temps de leur passion, est placardée en quatre par trois sur tous les murs de la capitale. Le titre gravé dans la peau de son dos, Joeystarr s’abandonne dans les bras d’une Béatrice Dalle, lascive. La twittosphère, Facebook et les unes des magazines s’emballent. La pièce est clairement l’un des événements de cette rentrée théâtrale. Elle sent le soufre, le stupre, la luxure.
On pourrait croire à un coup marketing, un spectacle paillette. Cela le serait, si on ne connaissait pas le lien singulier qui unit la comédienne de 37°2 au metteur en scène, directeur du CDN de Rouen-Normandie. Amis dans la vie, depuis qu’il lui a offert à Grignan, le rôle de Lucrèce Borgia, ces ceux-là ne se quittent plus. Interrogeant la sexualité, le genre avec Virginie Despentes, à Avignon en 2018, dans un épisode de Mesdames, messieurs et le reste du monde, les deux complices se retrouveront au Rond-Point en Décembre prochain pour Warm, ainsi qu’en tournée avec Viril. Dans ce contexte, quoi de mieux qu’offrir à sa muse, le rôle d’une grande et belle comédienne qui s’amourache d’un monstre à l’esprit vif, au cœur d’or ?
En adaptant Elephant man du dramaturge américain Bernard Pomerance, pièce inspirée d’un fait réel, David Bobée ne pouvait pas trouver meilleure matière. Évitant l’écueil de tout grimage, comme l’a fixé dès sa création l’auteur, il signe un show qui fait la part belle à l’actrice, fragile dans l’incarnation, pulpeuse à souhait dans une tenue noire moulante, qui met en avant ses formes généreuses, et confirme la présence scénique magnétique de Joeystarr, véritable bête de scène. Posé ce postulat, et malgré une scénographie ingénieuse, la sauce a bien du mal à prendre. A trop vouloir faire brûler les planches à son couple star, connu lors de leur vie commune pour leurs frasques, à trop forcer le trait pour que cette pièce s’ancre dans l’actualité, peur de la différence, attraction des puissants pour le glauque, il n’arrive pas à donne le souffle dramatique suffisant pour qu’on soit happé, subjugué par cette histoire d’amour entre la belle et le phénomène de foire. Jeux d’acteur approximatifs, surcharges visuelles, danses superflues indépendamment du talent de l’interprète, viennent perturber la lecture, en alourdir la digestion. Il suffirait de peu, resserrer l’ensemble notamment, pour emporter, fasciner.
Reste un comédien, une légende du rap, un monstre sacré, qui irradie la scène. Joeystarr est l’homme éléphant. Il en a la rugosité extérieure, la douceur intérieure. Corps tatoué, il s’abandonne à son personnage, lui prête sa voix grave, pâteuse. De pratiquement toutes les scènes, il impose sa silhouette, son phrasé, expose ses faiblesses, ses fêlures. Il est le cœur vibrant de ce spectacle, le diamant brut.
On attendait un peu plus de David Bobée, mais soyons honnête il remplit largement le contrat, salle pleine et standing-ovation de plusieurs minutes. Par ailleurs, il a le grand mérite d’amener au théâtre un public peu habitué des lieux. Certains applaudissent généreusement, d’autres quittent les Folies Bergère déçu mais avec de belles images et des moments forts en tête.
Olivier Frégaville-Gratian d’Amore
Elephant Man d’après la pièce de Bernard Pomerance
Les Folies Bergère
32 rue Richer
75009 Paris
Jusqu’au 20/10/2019
Durée 3h00 environ avec entracte
Mise en scène de David Bobée
Adaptation de David Bobée et Pascal Colin
Avec Joeystarr, Béatrice Dalle, Christophe Grégoire, Michaël Cohen, Grégory Miège, Clémence Ardoin, Xiaoyi Liu, Radouan Leflahi, Papythio Matoudidi, Luc Bruyère, Arnaud Chéron
Crédit Photos © Arnaud Bertereau