Sous le chapiteau des Francophonies, au cœur de la caserne Marceau, N3rdistan met le feu et entraîne les festivaliers dans une folle transe. Mêlant habilement les styles musicaux, allant des beats électro aux scansion rap, le duo de charme et de choc puise dans la poésie arabe engagée pour questionner le monde et réveiller les consciences. Coup de cœur.
Après la pluie, le beau temps. En ce dimanche matin limougeaud, le soleil darde de ses rayons le parvis de la gare. Installés tranquillement à côté d’un foodtruck, les membres du groupe N3rdistan, sirotent leur café avant de prendre le train, quitter les Francophonies -Zébrures d’automne où ils étaient invités à se produire par le nouveau directeur Hassane Kassi Kouyaté et repartir à leur vie respective. La nuit a été courte, les notes aux influences arabisantes résonnent encore dans leur tête. Regard perçant, pétillant, coupe à la garçonne, la voix teintée de grave, Widad Brocos se souvient de sa rencontre avec Walid Benselim, jeune homme à la silhouette longiligne surmontée d’une touffe hirsute de cheveux noirs. C’était à Casablanca au lycée. Bien avant que tous deux décident de venir en 2002 étudier en France, à Perpignan. « A l’époque, raconte le musicien-chanteur, nous étions tous les deux dans des établissements séparés. La mixité était rare, elle en était à ses balbutiements. C’est à l’occasion d’un échange entre nos deux écoles, histoire de rencontrer l’autre sexe, que nous avons échangé sur un terrain de Basket. Je cherchais une chanteuse pour le groupe de rap auquel j’appartenais. » Entre les deux adolescents, le courant passe. Widad auditionne dans la rue, lieu interlope qui leur servait de studio de répétitions. « C’était singulier, avoue-t-elle. D’autant, que la musique n’était pas intuitive pour moi. A ce moment-là, je suivais des cours de danse et de théâtre au Conservatoire de Casablanca. L’expérience avec Walid a été galvanisante. Une amitié est née. Nous avons commencé à faire des sets ensemble. » L’association est fructueuse. Ils se retrouvent régulièrement, échangent leurs coups de cœur, et composent leur propre musique. « J’ai commencé très jeune à chanter, raconte-t-il. Je devais avoir cinq ou six ans quand ma mère m’a poussé au-devant d’une scène. Tout comme Widad, je suis passé par le conservatoire. A l’adolescence avec mes amis, j’ai viré rap. Prendre des cours ne m’intéressait plus, je voulais explorer par moi-même. »
Le bac en poche. Les deux amis débarquent en France. Ils étudient l’économie et se retrouvent souvent pour faire des petites cessions acoustiques au studio de la cité universitaire. « J’ai choisi Perpignan sur une carte Météo, s’amuse Walid. Je voulais aller là où il fait chaud. Côté musique, j’ai commencé à m’intéresser au Métal, alors que Widad s’est passionnée pour la musique africaine dans sa globalité. Nos chemins se sont éloignés mais nous avions toujours le désir de travailler ensemble, d’échanger sur nos coups de cœur. » C’est quelques années plus tard, en 2014, que nait le groupe N3rdistan. Loin de chez eux, les deux artistes se sont plongés dans l’histoire de leur pays, à la recherche d’une culture commune, de leur racine. « La poésie, raconte le jeune homme, est quelque chose de très important chez nous. On connaît tous les noms des grands poètes. Ils ont la même place qu’un prophète. Leur art est respecté, ils sont les seuls qui peuvent critiquer nos sociétés, la religion sans être trop inquiétés. On a d’abord lu les textes conseillés par nos parents, puis nous nous sommes intéressés à d’autres qui avaient un écho dans le monde contemporain. » Entremêlant les influences musicales à des textes qui pour certains datent du IXe, Xe ou XIIIe siècles, Widad et Walid composent. Ils cherchent à faire entendre des idées, des mots, à mettre au goût du jour des poésies anciennes, qui les touchent, les questionnent sur le monde. « Pour le nom du groupe, explique-t-il, c’est une combinaison de plusieurs significations. Tout d’abord, c’est un hommage à Mahmoud Darwich, figure de proue de la poésie palestinienne. Nous nous sommes inspirés de l’un de ses recueils dont le titre est Le Lanceur de dés. Dés en arabe se dit « Nard ». Une autre explication vient du terme « Neurd ». C’est un rappel de ce que nous sommes, de notre génération qui a grandi avec Internet et les nouvelles technologies. Enfin, Nardistan, dans le Maghreb, c’est le Pays des révoltés. C’est une référence à Albert Camus. »
Geek autant que littéraire le duo ne cesse de surprendre. « Tout ce qui sublime le mot, ajoute Widad, nous passionne. Tout ce que nous souhaitons évoquer dans nos chansons passent par le prisme de la poésie. C’est pour cela qu’on puise beaucoup de nos textes dans la littérature arabe, qu’on entremêle arabe littéraire et marocain dialectique. La plupart des auteurs, qu’ils aient vécu il y a plus de 1 000 ans, ou moins de cinquante ans, ont déjà fait le voyage, ont déjà eu des réflexions philosophiques sur nos sociétés. Ce qui est troublant, c’est qu’elles sont toujours d’actualité. » Revendiquant une liberté d’expression, N3rdistan se veut passeur d’idées. Leur principal moteur est lié à une volonté de transmettre, de dépoussiérer certains classiques, leur donner une autre vie. « Plusieurs de nos morceaux, souligne Walid, sont inspirés de l’œuvre de l’auteur irakien mort en Angleterre, Ahmad Matar. Très critique, il a été longtemps interdit. Ces recueils circulaient sous le manteau. Son poéme Ihralou, qui signifie dégagez en arabe et que nous avons repris, a été scandé tel un hymne au moment du printemps arabe. C’est une chanson directe, qui interroge notre mode de vie, de consommation. Cela n’a rien de didactique, on pose juste la question, on ne donne pas de réponse. »
Comment ne pas se laisser emporter Surfant sur le rap, le hip hop ou la techno, N3rdistan invente une musique entêtante qui prend aux tripes, qui secoue, qui ensorcèle. Refusant de s’enfermer dans un style, il joue des sonorités, des tonalités, des mélodies qu’elles soient ouatées, rugueuses, ou enveloppantes. Il casse les barrières, les frontières entre les gens, les époques. « On aime partager nos coups de cœur, explique Walid, ce que nous sommes un mélange de plein de choses. Tout comme nos compositions, nous sommes multiculturels, multiethniques. » Multipliant les concerts, le duoWalid et Wadid prépare actuellement son prochain album, qui devrait être disponible en septembre prochain. En attendant n’hésitez pas à écouter sans modération leur premier opus, riche de 16 titres. Vous serez sous le charme. C’est garanti !
Propos recueillis par Olivier Frégaville-Gratian d’Amore – Envoyé spécial à Limoges
N3rdistan de N3rdistan
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