Au festival mondial des théâtres de Marionnette à Charleville-Mézières, Claire Dancoisne, artiste fil rouge de cette vingtième édition, adapte avec maestria le conte philosophique de Victor Hugo et lui donne une dimension noire, poétique autant que drôle. Une jolie réussite.
Dans les bas-fonds du Londres cosmopolite du XVIIe siècle, un macabre ballet a lieu. Derrière un voile transparent, d’étranges créatures, les « comprachicos », des charcutiers plus que des chirurgiens, démembrent des corps juvéniles, déforment, des corps, des visages. Entre leurs mains d’innocents enfants, achetés à bas prix, deviennent des monstres, des bêtes de foire, qu’ils revendent à prix d’or. Le commerce est certes illicite, mais aidant le roi à se débarrasser de ses ennemis, leur commerce est toléré. C’est ainsi qu’une nuit noire, ils mutilent un jeune garçon, lui ouvre la mâchoire, lui offrant un rictus permanent. Après la mort du méchant monarque et l’avènement de la nouvelle reine, obligés de fuir, ils abandonnent à son sort ce lourd fardeau, sur la grève.
Commence pour l’enfant à l’effrayant sourires jusqu’aux oreilles, un long périple. Après avoir sauvé d’une mort certaine, un soir d’hiver glacé, un nouveau-né, la belle et aveugle Déa, Glywnplaine – son nom de scène -il? est recueilli par un Ursus, un forain qui fait de lui une vedette que toute l’Angleterre acclame. Reçu à la cour, il devient un imminent personnage. Voix de la pauvreté dans un monde d’opulence, il ne reçoit que sarcasmes, moqueries et rires odieux. L’homme serait-il une hyène pour ses congénères ? La plus hideuse des créatures un agneau ?
S’emparant de ce récit acide, romanesque, terrible, Claire Dancoisne, fondatrice du théâtre de la Licorne, signe un spectacle étrange, inquiétant, qui saisit par son esthétique baroque, fantasmagorique, son abominable poésie. Tout est beau, tout est laid. S’appuyant sur une troupe de comédiens-manipulateurs virtuoses, la metteuse en scène lèche la succession de tableaux qui donnent vie à cette histoire de monstres, cette fable à l’humanisme noir. Forçant le trait des personnages, les affublant de costumes faits soit de haillons, soit d’armatures plus rigides, elle lorgne sur le burlesque, le granguignolesque sans pour autant tomber dans le caricatural. C’est toute la force de cette adaptation prenante, cynique.
Édulcorant le roman d’Hugo, resserrant l’intrigue, Claire Dancoisne et son complice Francis Peduzzi immergent, grâce à des effets inventifs, ingénieux, et diablement bien foutus, le spectateur dans un univers troublant, singulier, autant horrifique qu’extraordinaire, autant dramatique que drôle. Si parfois, l’attention se perd dans quelques digressions, elle est toujours rattrapée au vol par quelques scènes anthologiques – celles avec Josiane, la sœur de la reine sont absolument divines.
L’Homme qui rit est un show visuel complet, du théâtre de marionnettes résolument moderne qui réconcilie avec le genre. A ne pas rater donc et à compléter absolument avec The Green Box, une forme plus courte, plus légère. Offrant la parole au loup, compagnon de longue date d’Ursus, Claire Dancoisne signe un petit bijou d’ingéniosité, de virtuosité. Jouant avec des os, le comédien – en alternance Olivier Brabant et Léo Smith– enchante et ensorcèle, et donne au pavé d’Hugo, une vivacité renversante.
Olivier Fregaville-Gratian d’Amore – Envoyé spécial à Charleville-Mézières
L’Homme qui rit d’après le roman de Victor Hugo
Festival mondial du théâtre de marionnettes – Charleville-Mézières
Durée 1h30
Mise en scène de Claire Dancoisne assistée de Rita Tchenko
Adaptation de Francis Peduzzi
Avec Jaï Cassart, Manuel Chemla, Anne Conti, Thomas Dubois, Henri Botte, Gaëlle Fraysse, Gwenael Przydatek, Rita Tchenko
Création musicale de Bruno Soulier
Création lumières d’Emmanuel Robert
Collaboration artistique Hervé Gary
Création des marionnettes de Pierre Dupont
Création costumes de Claire Dancoisne, Chicken, Jeanne Smith & Perrine Wanegue
Constructions de Bertrand Boulanger, Chicken, Grégoire Chombard, Alex Herman & Olivier Sion
Régie générale et lumières de Vincent Maire
Régie plateau d’Hélène Becquet
Régie son de François-Xavier Robert
Crédit photos © Christophe Loiseau