A l’Artéphile, Diastème clôture sa trilogie amoureuse commencée par La Nuit du thermomètre, poursuivie par 107 ans, visible dans le même théâtre,en mettant en scène son dernier opus, La paix dans le monde.Portés par deux comédiens vibrants, les textes délicats, poétiques du dramaturge touchent à l’âme, au sensible. Deux coups de cœur pour le prix d’un !
Simon est jeune. Il est fou. Pas schizo, ni bipolaire, juste amoureux à en perdre la raison de la belle Lucie. Romantique, fragile, il croît en l’éternelle passion, celle qui nous cueille un beau matin, pour ne jamais s’éteindre même après la mort. Adolescent, il est l’ombre de cette douce jeune fille. Il la décrit avec son cœur, son âme. Elle est son double, l’unique personne avec qui il veut vivre, grandir, construire un demain fantastique, rêvé.
Rien ne se passe comme prévu. Le quotidien, l’épreuve du temps, tout semble vouloir contrarier cette histoire singulière. Exalté, Idéaliste, Simon (troublant Simon Fraud) a 15 ans. Il a besoin de se prouver que son affection pour Lucie, son amour est bien réel, qu’il relève du prodigieux, de l’extraordinaire. Il faute une nuit. La blessure dans le cœur de Lucie est profonde. Elle le quitte. Alors commence pour le jeune homme une errance. Sa raison vacille. Il perd pied. Devient fou, obsessionnel, et veille au loin sur sa belle. Persuadé qu’un jour, tout s’arrangera.
Incapable de refreiner ses pulsions, il la suit, la harcèle. La pression devient intolérable. Les parents et la justice s’en mêlent. L’éloignement est prononcé. Il s’en fout. Il l’aime. Il sait que c’est réciproque. Le fantasme prend le dessus sur la réalité. Il fugue pour mieux se rapprocher d’elle, se mutile pour mieux ressentir l’absence. La voir dans les bras d’un autre est intolérable. Dans un geste désespéré, fou, pour essayer la reconquérir, il blesse son rival et tente de mettre fin à ses jours, faute d’être aimé.
Porté à la scène avec beaucoup d’ingéniosité et juste ce qu’il faut d’effets par Adrienne Ollé, 107 ans saisit le spectateur, l’emporte vers un ailleurs fantasmagorique, où tout semble possible. Le glauque ici n’a pas droit de citer. Ce n’est que de l’amour, même s’il est excessif, exclusif. La beauté de la langue, la naïveté touchante du personnage, prend aux tripes. Totalement conquis par l’écriture au cordeau de Diastème et la scénographie simple, sobre de Suzanne Barbaud, on se laisse porter par l’interprétation ciselée, poignante de Simon Fraud.
Fort de cette première expérience où le délicat éloigne de la morosité du quotidien, de sa trivialité, l’envie d’entendre encore les mots de Diastème, de s’enivrer de sa plume se fait prégnante, puissante. Cela tombe bien. Dans le même théâtre, il présente sa dernière pièce, qui sert de conclusion aux amours folles de Simon et Lucie. Les années ont passées. Quinze pour être précis. Après un long internement en hôpital psychiatrique pour tenter de soigner ses névroses, Simon (bouleversant Frédéric Andrau) vit retiré du monde, apaisé dans le canton de Vaud. Entouré de livres, il laisse filer le temps, ses obsessions d’antan semblant disparues. Il suffit d’un rien. Un ordinateur offert par sa mère pour qu’à nouveau son palpitant s’embrase. Traquant sa belle via les réseaux sociaux, il la retrouve à Paris, épanouie et heureuse.
Tout s’emballe. Rien cette fois-ci ne l’arrêtera. Il le sait. L’amour est toujours là. Il est indestructible. Plus raisonné, moins fougueux, quoique, il s’approche de sa proie, de sa douce. Il suffit qu’il paraisse pour qu’elle trésaille. La passion jamais éteinte fera le reste. Tant de fois contrariée, l’histoire va-t-elle enfin avoir une fin heureuse ? A chacun de se faire son idée.
S’appuyant sur la scénographie habile d’Alban Ho Van, fidèle collaborateur de Christophe Honoré notamment, Diastème invite à un voyage au cœur de la pensée de son cher Simon. Plus mature, plus poétique, son écriture enivre, grise, étourdit. La douce folie de l’adolescence a fait place à un amour aliénant beaucoup plus profond, plus enveloppant, plus émouvant. Bien sûr, tout cela n’est pas net, mais quelle importance. C’est tellement beau qu’on a envie d’y croire. Oubliant la partie sordide de cet amour entêtant, étourdissant, presque malsain tant il est prégnant dans l’esprit de notre singulier héros, on se laisse étreindre, emporter par la flamme incandescente qui unit deux êtres que tout attire, que tout oppose.
L’univers sonore créé par Cali, la présence par écran interposé de l’éblouissante Emma de Caunes – les photos de Vanessa Filho, diffusées façon diaporama subliment sa sensualité charnelle- , donnent à l’ensemble une intensité et offre au jeu subtil de Frédéric Andrau un écrin délicat. Totalement habité par son personnage, tour à tour sérieux, éthéré, voire illuminé, il livre une performance fine, organique qui ne peut que faire chavirer nos petits cœurs de guimauve rose.
Courrez, volez, foncez découvrir ces deux pièces de Diastème à l’Artéphile, deux bijoux exquis qui vous feront oublier la tristesse du monde. Laissez-vous emporter par leur belle intensité, la joliesse de leur lyrisme. Certes, les larmes coulent succédant aux rires, mais elles sont salvatrices et salutaires. Magique !
Olivier Fregaville-Gratian d’Amore – Envoyé spécial à Avignon
107 ans et la paix dans le monde de Diastème
Festival d’Avignon le OFF
L’Artéphile
7 rue du Bourg Neuf
84000 Avignon
Jusqu’au 27 juillet 2019
107 ans
Tous les jours à 18h25 sauf les 7, 14 et 21 juillet 2019
Durée 1h20
Texte de Diastème
Mise en scène d’Adrienne Ollé
avec Simon Fraud
Musique d’Eskazed
Scénographie de Suzanne Barbaud
Lumières de Cédric Le Ru
Régie générale de Thomas Jaquemart
La paix dans le monde
Tous les jours à 14h05 sauf les 7, 14 et 21 juillet 2019
Durée 1h25
Texte et mise en scène de Diastème assisté de Mathieu Morelle
Avec Frédéric Andrau et la participation d’Emma De Caunes
Lumières de Stéphane Baquet
Costumes de Frédéric Cambier
Décor d’Alban Ho Van
Images de Vanessa Filho
Musique de Cali