Preljocaj fait danser la mort à Montpellier

Avec délicatesse, Angelin Preljocaj s'empare des ultimes lieder de Schubert.

Dans l’écrin froid et moderne du Corum de Montpellier, Angelin Preljocaj donne magnifiquement corps aux 24 lieder composés par Franz Schubert et écrits par le poète Wihlem Müller. Auréolant la scène de lumières tamisées, utilisant avec précisions la virtuosité de ses danseurs, il réveille délicatement la mort, la nimbe de mille couleurs. Envoûtant !

 Le rideau se lève sur un espace tout de noir tendu. Un tapis de cendres couleur ébène recouvre le sol. Vêtus de tenues de guerriers, mêlant lycra et vinyle, six hommes se tiennent droits, hiératiques, devant de petits monticules, face à la salle. Un septième s’avance au devant de la scène. De sa voix de Baryton basse, Thomas Tatzl entonne en allemand les magnifiques poémes de Wihlem Müller. Pleurant son amour perdu et non partagé, ne supportant pas la solitude qui l’assaille le tourmente, il en appelle aux profondeurs de la terre. Il les supplie de lui rendre sa bien-aimée ou du moins de l’aider à la rejoindre.

Considéré comme le plus beau recueil de lieder de Franz Schubert, Die Winterreise – en français Le Voyage d’hiver– est une magnifique déclaration à la vie, à la mort. Tout juste composé un an avant sa mort, ce cycle, par sa sobriété, son lyrisme, sa densité, correspond parfaitement à l’état d’esprit du musicien. Découragé, fatigué, il se glisse parfaitement dans la peau du narrateur blessé par le désamour de celle qui a pris son cœur à tout jamais. Romantique par excellence, l’œuvre transporte, emporte vers un monde de mélancolie et de nostalgie. Mais sa beauté vient autant de cette tristesse qu’elle transcende que de la joie qui s’immisce sous forme d’illusion dans l’âme meurtrie de l’amant délaissé, esseulé. 

S’emparant de cette matière incandescente, Angelin Preljocaj esquisse un ballet composé d’autant de saynètes quel l’œuvre originale contient de lieder. Pas de deux, portés, arabesques, il esquisse un poème dansé d’une rare beauté. Jouant des lumières tirant sur le clair-obscur, s’amusant des contre-jours, il emporte ses douze interprètes tous excellents, dans des danses passionnées, fiévreuses. Les couples se font, se défont avec élégance. Les vivants trépassent, les morts sortent de leur torpeur. Tout est chamboulé, bouleversé. Le noir cède le pas à la couleur. Les gestes contrariés se libèrent laissant l’émotion jaillir avec élégance, délicatesse. 

Si dans sa forme le ballet reste assez classique, l’écriture assez sobre, pure, Angelin Preljocaj l’habille avec tant de feux qu’il saisit, attrape et ensorcèle. Créé pour la Scala Milan, Winterreise fait souffler un vent de lyrisme, un chant de vie sur les nuits montpelliéraines. 

Olivier Frégaville-Gratian d’Amorce – Envoyé spécial à Montpellier


Winterreise d’Angelin Preljocaj
Festival Montpellier Danse
Le Corum – Opéra Berlioz
Place Charles De Gaulle
34000 Montpellier
Les 1
eret 2 juillet 2019
Durée 1h20

Pièce pour 12 danseurs
Durée 1h15
Chorégraphie : Angelin Preljocaj
Musique : Franz Schubert, Die Winterreise 
Scénographie : Constance Guisset
Lumières : Éric Soyer
Costumes : Angelin Preljocaj 
Réalisation : Eleonora Peronetti
Baryton basse : Thomas Tatzl 
Piano-forte : James Vaughan
avec Baptiste Coissieu, Leonardo Cremaschi, Isabel García López, Verity Jacobsen, Jordan Kindell, Théa Martin, Emma Perez Sequeda, Simon Ripert, Kevin Seiti, Redi Shtylla, Anna Tatarova, Cecilia Torres Morillo
Pièce remontée par : Dany Lévêque, choréologue 
Assistant, adjoint à la direction artistique : Youri Aharon Van den Bosch 
Assistante répétitrice : Cécile Médour 
Commande de La Scala de Milan 
Production : Ballet Preljocaj

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