Entre farce lyrique et théâtre burlesque, Blaise le savetier est un savant exemple des opéras-comiques qui ont fleuri en France au XVIIIe siècle. La principale force de l’enregistrement réalisé en 2013 par Iakovos Pappas et son ensemble Almazis est de plonger l’auditeur, avec malice et complicité, dans un temps presque oublié. Véritable mémoire vivante de cette musique baroque typiquement française, le claveciniste et chef d’orchestre mêle, avec un malin plaisir, les codes d’antan avec une virtuosité pleine de flamme et de fougue… laissez-vous séduire par cette comédie cruelle et grivoise.
L’argument : Blaise va se rendre au cabaret, malgré les remontrances de sa femme Blaisine, quand des recors, soutenus par la femme d’un huissier, propriétaire de la maison où il demeure, viennent saisir ses meubles. Blaise avoue à sa femme l’amour que l’épouse de l’huissier éprouve pour lui, Blaisine lui annonce à son tour l’amour que l’huissier éprouve pour elle. Tous deux se mettent en tête de duper l’huissier. Une armoire, sur le théâtre, devient le champ de bataille de leur stratagème. L’huissier est dupé, et l’huissière démasquée.
La critique : Loin des opéras de Haendel et des musiques de Lully, apparaît au cours du XVIIe siècle, en France, un nouveau genre de spectacle musical : les opéras-comiques. Inspirés des buffa italiens, ces derniers associent musique baroque, chant lyrique et théâtre burlesque. Blaise le savetier, qui fut joué pour la première fois à la Foire Saint-Germain le 9 mars 1759, s’inscrit parfaitement dans cette tradition. Entre satire et parodie, cet opéra-comique en un acte mêle des ariettes de Michel-Jean Sedaine, avec la musique de Philidor.
Au cœur de l’intrigue, Blaise et sa femme Blaisine luttent avec malice contre un couple d’huissiers, les pinces. A la manière de la commedia dell’arte, Philidor et son complice Sedaine s’amusent des situations cocasses et des quiproquos amoureux qu’ils font subir à leur personnages. C’est truculent et plein de fantaisie.
Afin de faire revivre ce style désuet et un peu oublié, il ne fallait pas moins que le talent du claveciniste et musicologue d’origine grecque, Iakovos Pappas. Allant à rebours de ceux qui souhaitent lisser la musique baroque, ce spécialiste souhaite au contraire faire revivre ce style particulier dans la verve de l’époque, assumant ainsi le mélange entre la gouaille parisienne et les arias d’opéras qui roulent sous la langue des chanteurs. L’effet, certes surprenant au premier abord, se trouve renforcé par l’adéquation entre la musicalité obtenue et les scènes burlesques qui s’enchaînent. En mettant justement l’accent sur les singeries de chaque protagoniste, c’est tout le comique de la situation qui est conforté. Car oui, disons-le tout net, l’opéra-comique allie subtilement l’art du chant, de la musique classique et le génie populaire.
Ainsi, l’ensemble Almazis s’est parfaitement fondu dans le réalisme surrexpressif, qui est la marque de fabrique de ce type d’œuvre. Le surjeu, loin d’être intempestif, souligne au contraire le ton cinglant, parfois glaçant de la satire.
C’est donc avec beaucoup de facéties et un fin travail de recherche que Iakovos Pappas a abordé la préparation de cet opéra-comique, véritable fenêtre sur la société bourgeoise de ce milieu du XVIIe siècle. Avec son ensemble, il a su « coller »au plus près de cette critique sociale dont les piliers sont l’argent et la grivoiserie. Son doigté sans pareil effleure avec maestria les touches de son clavecin qui égrène ses sonorités si particulières auxquelles se lient, avec justesse, les voix de Caroline Chassany, Elisabeth Fernandez, Christophe Crapez et son complice de toujours, Paul-Alexandre Dubois.
Pour retrouver l’esprit et la fougue de ce siècle où régnait le Roi Soleil, laissez-vous tenter par l’écoute de cet enregistrement rare… Vous serez surpris par la richesse de ce répertoire, remisé depuis trop longtemps.
Blaise, Le savetier d’André Danican Philidor
CD paru aux éditions : Maguelone MAG 111 196
Disponible sur les plateformes d’écoute Deezer et Spotify.
avec Caroline Chassany, Elisabeth Fernandez, Christophe Crapez, Paul-Alexandre Dubois, Jérôme Gueller, l’ensemble Almazis
chef d’orchestre et claveciniste Iakovos Pappas.
