Poète, écrivain, essayiste, acteur et théoricien du théâtre, Antonin Artaud n’a cessé d’inspirer de nombreux artistes. Le jeune Florian Pâque, séduit par ce génie torturé et incompris, l’incarne avec intensité et finesse, dans un spectacle d’une grande maturité. Un moment hors du temps, aliénant, mais terriblement humain !
Le public entre dans la pénombre. Sur le sol un tapis de feuilles blanches froissées, un corps à demi nu, plié, souffrant. A ses côtés une femme lui caresse la tête. On est en 1948, dans la chambre du poète, quelques mois avant sa mort. A l’instar de ce qu’il a vécu toute sa vie, il ne cesse de rendre compte des troubles qui l’habitent, des douleurs qui l’affectent. Même drogué, malade au bord de la folie, il continue de produire sans relâche, de réfléchir, de tordre l’art dans tous les sens pour en extraire une pensée énigmatique, singulière.
Après huit années d’internement psychiatrique à la clinique de Rodez, Artaud clôture la commande, passée par la RDF (Radio diffusion française), d’une création radiophonique intitulée Pour en finir avec le jugement de Dieu… Mais la veille de sa programmation, un courrier de Wladimir Porché le met dans une colère noire, un délire schizophrénique à la limite de la paranoïa. Effrayé par l’immoralité et la crudité de la langue employée par l’essayiste, le directeur d’antenne de l’époque décide d’en interdire la diffusion. Il faudra attendre la mort d’Antonin Artaud pour qu’une version textuelle soit publiée, et encore une vingtaine d’années, pour pouvoir l’écouter sur les ondes de France Culture.
En racontant l’envers de cette émission, Florian Pâque plonge dans les méandres de la folie d’Artaud, au plus près de sa révolte contre le conformisme de la société. Sous le regard bienveillant et rassurant de son aide auxiliaire, jouée par Tiphaine Canal, il vitupère, harangue le public et fantômes. Apeuré, tremblant, tendant son corps à l’extrême, le comédien tout juste sorti des cours Florent, incarne la douleur d’Artaud avec une intensité fulgurante. S’emparant des maux du poète, il fait vibrer sa faconde crue, torturée, et libère dans un souffle salvateur toute la fièvre aliénante de son modèle.
Jouant sur les clairs-obscurs, prenant à parti les spectateurs, le jeune metteur en scène livre un spectacle ingénieux qui permet à tous, adorateurs d’Artaud, détracteurs ou tout simplement néophytes, de pénétrer dans l’âme de l’artiste mort à 51 ans. Une œuvre sensible et fougueuse à découvrir !
Florence Pons
Pour en finir de Florian Pâque d’après l’œuvre d’Antonin Artaud
Présenté au Lavoir Moderne Parisien du 8 au 12 mai 2019
Mise en scène de Florian Pâque
Avec Florian Pâque et Tiphaine Canal
Crédit Photo © Mathias Jordan