Couv_Intra-Muros_Michalik_2_© Alejandro Guerrero_@loeildoliv
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Intra muros, huis-clos carcéral onirique et salvateur

À la pépinière théâtre, Alexis Michalik invente une fable carcérale touchante et humaine.

Conteur invétéré, maître du temps et de l’espace, magicien des mots, Alexis Michalik nous entraîne, une nouvelle fois, dans un autre monde entre réalité et fiction, dans une spirale infernale, déroutante. S’inspirant de ses rencontres avec des détenus, il tisse une bouleversante histoire d’amour par-delà les murs de la prison. De sa plume ciselée, de ses mises en scène tourbillonnantes, il signe un spectacle « tréteaux » fantastique, émouvant.

Sur une scène quasiment vide, où juste dans le fond, quatre chaises terriblement banales, effroyablement communes, sont alignées et, côté jardin, trône une impressionnante table de mixage, cinq comédiens font leur apparition. L’un d’entre eux s’avance vers la salle et harangue les spectateurs, leur enjoignant d’éteindre leur portable. Imperceptiblement, sans que personne ne s’en soit rendu compte, la pièce a déjà commencé. Richard (sympathique Paul Jeanson), professeur de théâtre « has been », ancien metteur en scène prometteur, dispense déjà son cours. Il se lance dans une explication sur le théâtre, sur ce qu’il représente à ses yeux, sur son imbrication avec le réel.

En un clin d’œil, tout se met en place. Raphaël Charpentier rejoint sa grande console pour donner le ton musical à l’ensemble. Richard, accompagnée de Jeanne (fabuleuse Jeanne Arenes), une comédienne qui n’est autre que son ex-femme, se rend dans une prison pour dispenser un cours de théâtre à des détenus. A court de projet, en manque d’inspiration, il a été convaincu de l’intérêt d’une telle démarche par Alice (touchante Alice De Lencquesaing), une jeune femme un peu tendue, un peu gauche, adjointe de l’assistante sociale du centre pénitencier. Mais, voilà, rien ne passe comme prévu. Seuls, deux repris de justice ont accepté de tenter l’aventure : Kevin (énergique Faycal Safi), un jeune homme plein d’entrain, de vie, et Ange (revêche et bouleversant Bernard Blancan), un être usé, désabusé. 

Alors que tout semble décousu, que rien ne semble rapprocher les différents protagonistes, petit à petit, les fils de l’intrigue apparaissent, dévoilant une histoire d’amour poignante qui nous touche en plein cœur. C’est toute la magie de l’écriture d’Alexis Michalik qui se révèle à nouveau. Loin des fresques historiques, il nous plonge dans les couloirs sombres et labyrinthiques d’un établissement carcéral, là où tout es tu. Il donne la parole à ces hommes habitués au silence, permet à ceux, qu’ils soient victimes ou coupables, de libérer leur conscience, de dire enfin ce qu’ils cachent au plus profond de leur âme blessée.
   

Si la démarche peut paraître naïve, elle recèle une dramaturgie captivante, intense, qui nous entraîne vers des chemins sinueux, troublants, entre réalité et fiction. Comme à son habitude, de sa plume vive, de son imagination débordante, féconde, Alexis Michalik invente un monde où tout ce qui est disparate finit par s’imbriquer magistralement dans une mécanique étonnante et rythmée. Construit au tréteau, Intra muros mêle adroitement histoire vraie de détenus et improvisation.

Portée par une mise en scène simple et cinématographique, par une scénographie qui évolue « à vue » – ballet permanent de chaises, jeux ingénieux d’éclairage, lit qui apparaît et disparaît en fonction des scènes, etc… -, la troupe de comédiens vole, virevolte avec dextérité et virtuosité. Jeanne Arenes passe d’un rôle à l’autre avec une aisance confondante. Mère de l’une, ex-femme de l’autre, éternelle amoureuse d’un homme préférant la prison au déshonneur, elle se glisse dans la peau de chacun de ses personnages, insufflant à tous une étonnante douceur, une captivante densité. Alice De Lencquesaing incarne à merveille la jeune femme rêveuse et déterminée en quête d’identité, de vérité. Paul Jeanson est parfait en « looser » sympathique, en charmeur maladroit. Faycal Safi est épatant en jeune premier vivant, vibrant, que la vie a pourtant abîmé. Enfin,  Bernard Blancan se montre impayable en homme rompu, n’attendant plus rien de l’existence.

Moins exubérante que ses autres pièces, Intra muros révèle un Alexis Michalik profond et humain. Limitant les artifices, il livre un texte puissant, émouvant, bouleversant. Une friandise douce-amère dont les sucs resteront longtemps en mémoire. Brillant !…

Olivier Frégaville-Gratian d’Amore – Article publié sur le site du magazine Attitude-Luxe


Intra muros d’Alexis Michalik
La pépinière théâtre
7 Rue Louis le Grand
75002 Paris

Reprise du 27 août 2024 au jusqu’au 5 janvier 2025.
Durée 1h45

Création au Théâtre 13 / Jardin

Reprise Festival d’Avignon le OFF
Théâtre des Béliers-Avignon 
53 Rue du Portail Magnanen
84000 Avignon
du 5 au 28 juillet 2019

mise en scène Alexis Michalik assisté de Marie-Camille Soyer
Avec Christopher Bayemi, Raphaèle Bouchard, Hocine Choutri, Johann Dionnet, Sophie de Fürst, Jean-Louis Garçon, Nicolas Martinez, Ariane Mourier, Fayçal Safi, Marie Sambourg, Léopoldine Serre, Elisabeth Ventura, Joël Zaffarano et les musiciens Raphaël Bancou, Sylvain Briat, Raphäel Charpentier et Mathias Louis
Création Lumière d’Arnaud Jung
Scénographie de Juliette Azzopardi
Costumes de Marion Rebmann
Musique de Raphaël Charpentier
Production ACME. Avec le soutien de l’Adami et du Théâtre 13 / Paris.

Dans les coulisses d’Intra-Muros, un documentaire de Lucie Créchet

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