Au Théâtre forum Meyrin à Genève avant d’investir le 11.Gilgamesh Belleville durant le festival d’Avignon le OFF, le Suisse Dorian Rossel transpose sur scène avec une ingénieuse poésie l’autobiographie d’Ingmar Bergman. Jouant sur les clairs-obscurs de ce récit plein d’autodérision, il signe une pièce intense qui révèle le talent fou de Fabien Coquil, épatant dans la peau du cinéaste suédois.
Sur une scène vide, un carré blanc brille dans la pénombre. Écran de cinéma, page vierge pour épancher ses pensées, ses souvenirs ou point de mire d’une vie ? C’est un peu de tout cela à la fois. Plongeant dans les mémoires d’Ingmar Bergman, le metteur en scène suisse, Dorian Rossel, invite à découvrir les tourments d’une âme à l’imagination débordante, mais bridée par une éducation trop rigoriste. Petit garçon aimant passionnément une mère qui le rejette sur les conseils d’un pédiatre peu enclin aux inclinaisons du cœur, pour éviter d’en faire un homme trop sensible, le cinéaste en devenir ne supporte pas son frère aîné qui l’écrase et rêve de tuer sa jeune sœur, objet de toutes les attentions de ses parents. Mentir pour exister, semble le seul moyen de ne pas sombrer, d’être enfin dans la lumière.
Élevé dans la foi luthérienne, le jeune Ingmar grandit au rythme des humiliations, des punitions corporelles parfaitement ritualisées par un père pasteur. Seul le cadeau inattendu d’une parente, un cinématographe, le sort de ce marasme religieux, de ce cocon familial étouffant, en l’ouvrant sur le monde, sur sa capacité à découvrir un ailleurs fort différent, à inventer d’autres vies. Devenu dramaturge, metteur en scène, réalisateur, il cherche toujours à impressionner celle qui lui a donné la vie et dont il ne comprend que trop tard les tourments, les émotions contenues.
Jamais sans cynisme, toujours avec autodérision et lucidité, Ingmar Bergman navigue dans les eaux troubles de ses souvenirs en quête d’identité, de vérité, d’amour tout simplement. Contrastant avec l’image qu’on a de ses films, sa plume ciselée se fait légère, fine, drôle quand elle scrute son passé. Égratignant ses proches d’une saillie drolatique, c’est le portrait d’un homme blessé qui se dessine entre les lignes. S’emparant de cette matière riche, de ce récit fascinant, introspectif et salvateur, Dorian Rossel esquisse une mise en abyme du théâtre et de la vie d’artiste.
S’appuyant sur une scénographie minimaliste, faite d’un immense drap et de quelques plaques de contreplaqué, le metteur en scène suisse fait de Laterna magica,un conte poétique entre ombres et lumière, un rêve éveillé où de vieux fantômes parasitent la réalité. Avec peu, juste quelques images fortes, saisissantes, il nous entraîne dans le monde en noir et blanc du cinéaste, au cœur de ses tourments. Conquis, on se laisse emporter dans ce pêle-mêle de réminiscences qui s’attachent à sculpter en creux cette figure maternelle, objet de toutes les obsessions.
Avec une aisance confondante, le breton Fabien Coquil incarne l’homme de théâtre autant que de cinéma. Visage poupon d’enfant sage, il révèle intensément les failles du personnage. Face à lui, Delphine Lanza joue toutes les femmes qu’il a croisées et Ilya Levin le technicien qui donne corps au film de sa vie. Habitants la scène comme des âmes errantes, ils enchantent, ensorcèlent et rendent un hommage tendre à Bergman, à voir cet été dans la cité des Papes. Faisant partie de la sélection suisse à Avignon, Dorian Rossel présente au Théâtr’enfants, L’oiseau migrateur, un autre de ses spectacles à découvrir sans conteste.
Olivier Frégaville-Gratian d’Amore – envoyé spécial à Genève
Laterna Magicia d’Ingmar Bergman
théâtre Forum Meyrin
1, place des Cinq-Continents
Genève
Jusqu’au 4 mai 2019
Durée 1h25
Festival d’Avignon Le OFF
11 Gigalmesh-Belleville
11 Boulevard Raspail
84000 Avignon
du 5 au 23 juillet 2019
mise en scène de Dorian Rossel et Delphine Lanza
avec Fabien Coquil, Delphine Lanza et Ilya Levin
lumières de Julien Brun
musiquede Yohan Jacquier
sonde Thierry Simonot
costumes d’Eléonore Cassaigneau
scénographie de Cie STT
direction technique de Matthieu Baumann
Crédit photos © Carole Parodi et © La Lumière sombre Todd Hido