Au théâtre du Petit-Saint-Martin, Florence Muller convie à la noce de son grand fils, forcément génial, et révèle ,en creux derrière les blagues potaches, les situations burlesques et les répliques vénéneuses, les angoisses d’une mère frustrée, noyée dans une mer de solitude. Portée par la mise en scène de Julie-Anne Roth, la comédienne-auteure irradie les planches avec une énergie folle, un sens innée du burlesque. Drôlement féroce !
Tout le monde – le public – a fait le déplacement pour le mariage de Jean, le fils ainé de Geneviève (Florence Muller). Ils sont tous sur leur 31, les oncles lourdauds, les tantes écervelées, les amis proches qu’on n’a pas vus depuis longtemps, la jeune fille un peu trop boulotte qu’on aimerait reléguer dans l’ombre, la future épouse, tout à fait quelconque dans sa robe en carton, la grand-mère, juste décédée, qu’on trimballe dans son urne. En rang d’oignons, ils se prêtent avec une grâce, toute relative au jeu de la photo souvenir. Évidemment, rien ne va comme prévu. Les sourires sont crispés, les arbres qui devaient servir de décor ne sont jamais arrivés.
Pas de souci, en organisatrice hors pair, un brin stressée, limite hystérique, tout de rose vêtue dans une robe très sixties, la mère de famille veille au grain. S’essayant à la légèreté, à l’amabilité, elle a un petit mot pour chacun, histoire de mettre à l’aise. Mais sa nature satirique profonde, parfois mesquine, refait rapidement surface. Les remarques se font moins sympathiques, plus sibyllines. Il faut dire que Geneviève, femme à la petite quarantaine, issue de la classe moyenne aisée, en a gros sur le cœur : son mari, même présent, est aux abonnés absents ; son fils cadet, en pleine crise d’adolescence, porte jupe et fait tout de mauvaise grâce ; son unique fille se fout de tout ; son petit dernier, enfant trisomique, a le don d’enchaîner les bêtises ; sa mère, à peine morte, semble la juger de l’au-delà. Seul son chien, un cabot pas très beau affublé d’une vilaine collerette en plastique, a grâce à ses yeux.
Vaille que vaille, malgré ses rancœurs, ses frustrations, Geneviève tente de tenir son rang, de faire bonne figure, mais au fil de la journée, le vernis craque de toute part, révélant une à une ses failles. Esseulée, triste, elle s’ennuie ferme dans cette vie étriquée, ratée. Emportée par son élan, elle aimerait tout faire péter, tout recommencer. N’est-ce pas tout simplement trop tard ?
Forte de son expérience d’écriture avec son complice de longue date Eric Verdier, qui avait révélé leur ton caustique et absurde dans La beauté, recherche et développements puis dans La queue du Mickey, Florence Muller a pris, seule, sa plume pour dresser le portrait doux amer de cette « figure féminine bien sous tous rapports » à deux doigts de la crise de nerfs existentielle. Malgré un goût marqué pour le burlesque, pour les situations abracadabrantesques, le texte, dont de nombreuses répliques font mouche, manque toutefois d’étoffe, de finesse et mériterait d’être resserré, reciselé pour coller tout à fait la personnalité extravagante et barrée de la comédienne.
Disons le tout net, le spectacle, mis en scène joliment par Julie-Anne Roth avec la collaboration artistique de Christian Hecq, vaut surtout pour la performance impayable de Florence Muller. Déchainée, montée sur pile électrique, elle fait feu de tout bois, osant le pire pour souligner le meilleur. Amusant le public de quelques saillies salaces, de toute une panoplie de mimiques toutes plus drôles les unes que les autres, elle charme, ensorcèle et, par touche, dévoile derrière le rire, le drame tragique d’une vie dénuée de sens, d’une existence à la vacuité aliénante.
Olivier Frégaville-Gratian d’Amore
Emportée par mon élan de Florence Muller
Théâtre du Petit Saint-Martin
jusqu’au 26 mai 2019
Durée 1h10
Avec Florence Muller
Mise en scène Julie-Anne Roth
Collaboration artistique Christian Hecq de la Comédie-Française
Scénographie et lumières Camille Duchemin
Son Rémi Parguel
Chorégraphie Caroline Roëlands
Crédit photos © James Weston