Artiste rare, sensible, sculpteur quasi inconnu en France, Adolfo Wildt fascine. Sous ses doigts virtuoses, le marbre devient translucide, étonnement vivant. Ses œuvres transcendent sa vision du monde, sombre, douloureuse et spectrale. Son talent nous subjugue… en un mot, captivant.
L’argument : Ce sculpteur italien, proche du Liberty et du symbolisme, a su élaborer un langage où l’expressionnisme se mêle aux réminiscences de l’art antique, de la Renaissance, mais aussi du néogothique, dans un équilibre inédit entre la force expressive du modelé et de la grâce de motifs purement décoratifs. Étranger au monde des avant-gardes, Adolfo Wildt connut un succès critique controversé, tant en raison des sujets de ses œuvres, parfois obscurs, que de choix formels considérés comme excentriques. Sa sensibilité en a fait l’interprète d’une « époque fatiguée et anxieuse, crédule et curieuse » (Ugo Ojetti).
Organisée avec la participation de la Fondation Cassa dei Risparmi di Forlì, cette exposition exceptionnelle présente, pour la première fois en France, sculptures et dessins de l’un des artistes les plus raffinés et cultivés du XXe siècle.
La critique : Qui est donc cet Adolfo Wildt dont une rétrospective est proposée au Musée de l’Orangerie ? Difficile de répondre, tant il semble que l’artiste milanais, controversé de son vivant, ait rapidement sombré dans l’oubli après sa mort. Est-ce en raison de sa trop grande proximité avec le régime fasciste, – un de ses principaux soutiens et commanditaires, n’est autre que Margherita Sarfatti, la maîtresse du Duce –, ou est-ce en raison de l’étrangeté de son œuvre, difficilement classable ? Un peu des deux, certainement. Sa redécouverte, sa résurrection pourrait-on même dire, est un coup de maître. Entre enthousiasme et répulsion, le sculpteur esthète fascine.
L’immersion dans l’univers étonnant, douloureux et mystique d’Adolfo Wildt se fait de façon graduelle, à la fois de manière chronologique et thématique. C’est ainsi que l’a voulu la commissaire française de l’exposition, Ophélie Ferlier. On ne peut comprendre et aimer l’œuvre de cet artiste complexe et torturé qu’en se laissant guider pas à pas. Au fil des œuvres et des salles, son talent subjugue, les contours polis et délicats de ses marbres fascinent, l’élégance de ses dessins qui ne sont pas sans rappeler ceux de ses contemporains autrichiens, Gustav Klimt et Egon Schiele, séduit.
Difficile à catégoriser, tant son œuvre hétéroclite et étrange oscille entre le classicisme antique et le symbolisme le plus pur, tout en empruntant les voies dissonantes de la Sécession viennoise ou de l’expressionnisme, Adolfo Wildt se détache de ses contemporains en créant un style inimitable et unique, loin des sentiers battus. Il s’inscrit dans l’histoire de l’art moderne comme un être à part qui ne vous laissera pas indifférent.
Né à Milan dans un milieu pauvre, destiné à être coiffeur, le futur sculpteur s’est construit et a appris son métier tout au long de son adolescence, en passant d’un atelier d’orfèvre à celui d’un sculpteur de marbre. Très vite, sa virtuosité et la délicatesse de son toucher sont repérés. A 20 ans, c’est lui qui se charge des tâches les plus délicates et qui finit les œuvres de son maître. Ses premières productions trouvent leur inspiration dans l’art antique et néo-classique. Les visages des femmes sont lisses, subtilement polis, la beauté étrange de leurs traits émeut. Les bustes des hommes sont imposants, massifs, finement ciselés, délicats. Puis, son art se fait plus personnel, tout à la fois empreint d’académisme et d’art nouveau, tout en puisant dans sa propre personnalité. Chaque œuvre semble être le fruit d’un rêve ou d’un cauchemar de l’artiste. Son âme et ses états semblent ainsi avoir pris possession de la matière qui lui sert de support. Adolfo Wildt sculpte « avec ses tripes ». Sous ses doigts, le marbre se plie, se transforme. Les formes souples, arrondies, douces font place à des cavités audacieuses, finement travaillées, angoissantes. Crânes absents, yeux évidés, visages déformés par la douleur, l’angoisse.
L’ensemble donne une double sensation allant de la sérénité du corps à la violence de l’âme tourmentée. L’effet est saisissant, fascinant. Comment ne pas être hypnotisé par le buste du Vir Temporis Acti : muscles saillants, peau transparente, tendons raidis à l’extrême, visage creusé de l’esclave romain exprimant la douleur. Devant tant de violence reçue, on est pénétré par la vision délicate de cet être en transe extatique et par un détail surprenant, émouvant, doux : ses tétons sont sculptés en forme de fleur. Sublime. Au fil du temps, certaines œuvres sont empreintes de religiosité et de spiritualité, d’autres marquent son désir de retrouver la figure maternelle idéale. Puis, il y a les portraits, que ce soit de mécènes, du pape, ou du Duce. Comment rester de marbre devant celui, en bronze, de Mussolini, gigantesque. Il est là, impressionnant, autoritaire, marqué de coups de pioches qui n’ont pu altérer la beauté de l’œuvre et ont même renforcé la puissance créatrice de l’artiste. Bluffant.
On ressort de cette exposition un peu abasourdi, émerveillé, sonné. Il faut un peu de temps pour digérer l’art spectral, étonnant, raffiné et terriblement sophistiqué de celui qui a formé Lucio Fontana, qui a été honoré, un peu plus tôt dans la saison, au musée d’Art moderne de la Ville de Paris. La magie opère. La séduction est totale. L’exhumation de l’oubli d’Adolfo Wildt est parfaitement réussie.
Adolfo Wildt, le dernier symboliste
Musée de l’Orangerie
Jusqu’au 13 juillet 2015
Commissaire de l’exposition : Beatrice Avanzi et Ophélie Ferlier
Exposition organisée par l’Etablissement public des musées d’Orsay et de l’Orangerie, en collaboration avec la Fondazione Cassa dei Risparmi de Forli et de la ville de Forli.
Cette exposition est placée sous le patronage du Ministère des Biens et des Activités Culturelles et du Tourisme italien (MIBACT).