Vincent Baudriller © Ilka Kramer
Vincent Baudriller © Ilka Kramer

Vincent Baudriller : « Le théâtre est un lieu de liberté, de transmission et de fête »

À la tête du Théâtre Vidy-Lausanne depuis 2013, l’ancien co-directeur du Festival d’Avignon façonne au fil du temps un lieu de création ouvert sur le monde, attentif à la création contemporaine, fidèle aux artistes et aux idées. À l’occasion du Tempo Forte qui aura lieu du 14 au 25 mai, il revient sur l’âme de ce théâtre-laboratoire, où se croisent générations, géographies et formes en devenir.

Vincent Baudriller : C’est un lieu de création en pleine effervescence, une sorte de petite cité du théâtre au bord du lac. On y trouve quatre salles –une grande de 430 places, un pavillon en bois de 250, deux petites de 100 places et depuis peu, une salle de répétition aux dimensions généreuses – la taille équivaut à celle du plateau de la grande salle -, conçue pour permettre aux artistes de rêver grand. Avec l’équipe, nous avons voulu que Vidy devienne une plateforme forte du théâtre suisse-romand et alémanique – mais aussi un lieu ouvert à l’international, aux démarches expérimentales, à l’émergence. Un espace où l’on vient chercher, construire, traverser un processus. C’est un théâtre de production, au sens le plus profond du terme.

Le Sommet de Christoph Marthaler © Nora Rupp
Le Sommet de Christoph Marthaler © Nora Rupp

Vincent Baudriller : Entre autres. Tempo Forte, comme son nom l’indique, est notre nouveau temps fort. Il rythme désormais la saison comme un battement. On a choisi de poser deux grands temps forts dans l’année : l’un à l’automne, à l’ouverture de saison, l’autre au printemps, au moment où naissent nos productions. Deux moments de concentration, presque de condensation du sensible. On y présente des créations majeures, mais aussi des projets plus fragiles, plus expérimentaux, qu’on souhaite accompagner avec le même engagement.

Ce sont des semaines denses, mais toujours joyeuses. Les spectacles s’enchaînent, les horaires sont pensés pour que le public puisse circuler d’une salle à l’autre, que les professionnel.le.s puissent voir plusieurs propositions en quelques jours. Mais c’est aussi un moment où l’on prend le temps de se retrouver avec les artistes, les spectateur.ice.s et les équipes dans la Kantina (le foyer de Vidy), sa grande terrasse donnant sur le Lac et la plage toute proche… Tout est conçu pour que la circulation des idées se prolonge hors plateau. Ce n’est pas qu’une affaire de programmation, c’est une atmosphère, une attention partagée.

Wasted Land de Ntando Cele  © Claudia Ndebele
Wasted Land de Ntando Cele © Claudia Ndebele

Vincent Baudriller : C’est ce qui me réjouit. On retrouve des compagnons fidèles, comme Christoph Marthaler qui répète ici en ce moment sa nouvelle création, Le Sommet, une pièce chorale que l’on pourra découvrir avant qu’elle ne parte à Avignon, mais aussi des artistes qu’on accompagne depuis plusieurs années, comme Ntando Cele, artiste sud-africaine installée à Berne, qui reprend Wasted land que nous avons produit cet automne. C’est une comédie musicale décalée et poétique, où elle confronte les désastres humains de la fast-fashion et l’écologie feel-good occidentale rassurée par les labels bio et les réconfortantes promesses de recyclage. C’est un spectacle singulier, musicalement très riche, politiquement incisif, qui raconte une histoire globale à partir de son point de vue suisse et sud-africain.

On accueille aussi l’artiste brésilienne Gabriela Carneiro da Cunha. Pour ce nouveau spectacle, elle a longuement travaillé en Amazonie dans la région de la rivière Tapajós et de la communauté Munduruku avant de venir le créer ici. Un projet qui révèle la contamination au mercure de cette rivière amazonienne et qui fait entendre les voix des mères Munduruku victimes de ce désastre écologique. Il y a également Catol Teixeira, chorégraphe et danseur brésilien passé par la Manufacture de Lausanne, qui présente Ode, une création à la croisée de la danse contemporaine et du rituel.

Yo no tengo nombre (Je n'ai pas de nom) issu de Paysages partagés d'El conde del Torrefiel © Chloé Cohen
Yo no tengo nombre (Je n’ai pas de nom) d’El Conde de Torrefiel © Chloé Cohen

Vincent Baudriller : Le collectif El Conde de Torrefiel, reprend la pièce qu’il avait imaginée dans le cadre de Paysages partagésdéambulation artistique entre champs et forêts imaginé par Caroline Barneaud et Stefan Kaegi que nous avions produit en 2023 avant de le présenter au Festival d’Avignon. Avec cette installation, la nature au bord du Lac va s’adresser à nous et elle a beaucoup de chose à nous dire !

Ce que je cherche, à travers cette programmation, est une pluralité de regards. Des générations qui se croisent, des histoires qui se répondent. Des artistes qui regardent le monde depuis la Suisse, comme Marthaler, et d’autres qui le regardent depuis le Brésil l’Afrique du Sud, ou ailleurs encore. Ce dialogue des géographies, des esthétiques, des urgences, c’est ce qui fait pour moi la richesse d’un théâtre public.

Vincent Baudriller : Oui, on vient de lancer LACS, un projet transfrontalier soutenu par l’Union européenne. Il réunit Vidy-Lausanne, la Maison Saint-Gervais à Genève, les scènes nationales de Chambéry, d’Annecy et de Besançon. Ensemble, nous allons produire onze spectacles sur trois saisons. Ce qui nous rassemble ? L’envie de penser la durabilité de nos pratiques, de partager nos outils, de décloisonner les territoires. Et, surtout, de donner aux artistes des conditions pour créer, inventer, dialoguer.

Vincent Baudriller : Le plateau est pour moi un immense espace précieux et fondamental de liberté. C’est essentiel de pouvoir y prendre la parole, d’y inventer des formes, d’y chercher la sensible et la complexité. Dans un monde où cette liberté est sans cesse menacée, y compris en Europe, il me semble essentiel de continuer à l’affirmer. Et de transmettre. Le théâtre est un art éphémère, certes, mais il est aussi fait de mémoires, d’histoires, de filiations. Eric Vautrin, dramaturge de Vidy a créé d’ailleurs une exposition dans le foyer du théâtre sur l’immense œuvre de Christoph Marthaler. J’aime que Vidy puisse faire cohabiter Christoph Marthaler et des jeunes artistes formé.e.s à la Manufacture (l’école des arts de la scène de Suisse Romande à Lausanne). Que les gestes d’hier et ceux de demain se croisent, s’interrogent, s’influencent peut-être. C’est cette tension-là qui me touche et que nous essayons de faire vivre ici et de développer de manière plus soutenue à l’avenir. 


Tempo Forte
du 14 au 25 mai 2025
Théâtre Vidy-Lausanne
Emile-Henri Jaques-Dalcroze 5
CH-1007 Lausanne

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