« C’est vachement intimidant, ça, la famille, non ? », lance, d’un ton faussement spontané, l’une des quatre acolytes du collectif Marthe (Rembobiner), alignées face au public sur la petite scène du Théâtre de la Bastille. Cette petite phrase, pas vraiment subtile, donne le ton d’un spectacle aussi drôle qu’éclairant, qui interroge le modèle, ressassé jusqu’à l’absurde, de la sacro-sainte famille nucléaire.
L’envie de travailler cette thématique remonte à la pandémie de Covid, expliquent les comédiennes, période pendant laquelle elles ont eu tout le loisir de s’interroger sur l’aliénation des femmes dans la sphère familiale. Une question en amenant une autre, Marie-Ange, Clara, Aurélie et Itto (leurs vrais prénoms) se demandent finalement : d’autres manières de « faire famille » existent-elles ?
D’époque en époque
C’est ce fil conducteur qui structure Vaisseau familles : entre prises de parole aux allures de compte-rendus de lecture (la partie la moins réussie) et reconstitutions de modèles familiaux à travers les époques et les espèces animales (la plus hilarante), la pièce fait le pari moliéresque de plaire et d’instruire. Parfois un peu trop.
De saynète en saynète, la pièce traverse les siècles : les comédiennes plantent d’abord le décor au Moyen Âge, où l’on vivait à nombreux sous un même toit, avant de passer aux étouffantes familles bourgeoises du XIXe siècle, sous le joug du coercitif du pater familias. Certaines séquences sont particulièrement savoureuses — notamment lorsque Clara, incarnant la reine d’une termitière, avale les prétendants avec lesquels elle vient tout juste de s’accoupler.
Le goût du burlesque
Au final, c’est dans ces tableaux burlesques que le collectif déploie le mieux sa créativité, son humour et l’impressionnante complicité entre ses membres. Le versant théorique, lui, reste davantage dans le registre de la conférence gesticulée. Pourtant, le message finit par passer : à force d’évoquer les mille et une références — très érudites — qui ont nourri le spectacle (Vinciane Despret, Geneviève Pruvost, Hélène Giannecchini, pour ne citer qu’elles), on prend conscience, nous aussi, que la « famille » telle que nous la connaissons n’est qu’une brève parenthèse dans l’histoire de l’humanité.
Et, à l’image des comédiennes qui, en fin de spectacle, s’envolent sur un lit domestique transformé en voilier : il nous est toujours possible de voguer vers d’autres horizons.
Emma Poesy
Vaisseau familles du collectif Marthe
Création le 15 janvier 2025 à la MC2: Maison de la culture de Grenoble
Théâtre de la Bastille
76 rue de la Roquette
75011 Paris.
Du 27 mars au 10 avril 2025
durée 1h30.
Tournée
15 au 17 avril 2025 au Théâtre de La Croix-Rousse
Mise en scène, jeu et écriture – Clara Bonnet, Marie-Ange Gagnaux, Aurélia Lüscher et Itto Mehdaoui
Accompagnement mise en scène et direction d’actrices – Nelly Pulicani
Regard dramaturgique – Leïla Adham
Stagiaire dramaturgie – Mia Rambaldi
Regard chorégraphique – Cécile Laloy
Scénographie de Lucie Auclair
Création silhouettes et postiches – Cécile Kretschmar
Costumes – Léa Gadbois-Lamer
Régie générale lumières et plateau – Clémentine Pradier
Lumières – Maureen Bain
Régie son et plateau – Camille Lazaro
Musique scène des termites- Bédis Tir
