Son ombre planait sur le parvis de l’Agora, sa voix, douce et tranchante à la fois, résonnait dans les couloirs comme un écho d’autorité tutélaire. Jean-Paul Montanari, figure de la danse contemporaine en France, est parti ce matin rejoindre son ami Dominique Bagouet. Avec lui disparaît un pan entier de l’histoire de la création chorégraphique, mais aussi de celle d’une ville qu’il avait épousée comme on épouse une cause.
Depuis 1983, il fut le pilier, l’âme, le souffle continu de Montpellier Danse. Né à Alger dans une famille modeste, Montanari fut un autodidacte passionné, un amoureux de la danse avant même qu’elle ne devienne une discipline reconnue dans les cercles institutionnels. Il avait ce regard capable de distinguer l’essentiel dans une gestuelle encore floue et l’intuition rare de percevoir ce qu’une œuvre porte en elle. C’était un visionnaire.
Un bâtisseur, un passeur

Arrivé dans l’entourage de Dominique Bagouet au début des années 1980, il prend en main le Festival après le triomphe de l’édition 1983. Il ne le lâchera plus. En plus de quarante ans, il en fera une institution de renommée internationale. Les plus grands chorégraphes y auront trouvé refuge et tremplin : Merce Cunningham, Trisha Brown, William Forsythe, Anne Teresa de Keersmaeker, Nederlands Dans Theater, Emanuel Gat, Michèle Murray, Angelin Preljocaj, Ohad Naharin… Mais il n’oubliait jamais les artistes émergents, ceux qu’il appelait avec tendresse « les pas encore grands », auxquels il offrait régulièrement leur première chance.
Avec lui, chaque édition devenait une page d’un roman personnel, nourri d’exigence, de fidélité et de curiosité. Montanari était un lecteur attentif, un homme de convictions, attaché à l’idée que la danse ne pouvait se contenter de plaire, qu’elle devait également bousculer, questionner, interroger le monde. C’est cette ligne qu’il a tenue jusqu’au bout, avec constance et élégance.
Un homme de passion
On disait de lui qu’il était entier, parfois abrupt, souvent brillant. Comment ne pas se souvenir de la première rencontre, du premier échange ? Forcément frontal. L’homme avait besoin de tester la personne qu’il avait en face de lui. L’homme avait besoin de répondant. Il savait charmer, mais aussi trancher. Il aimait débattre, il aimait choisir. Par ailleurs, Il n’a jamais caché ses engagements ni ses fidélités, notamment envers Georges Frêche, le maire de Montpellier qui lui donna carte blanche pour faire de la ville un haut lieu de la culture. Ensemble, ils construisirent une utopie méditerranéenne : généreuse, cosmopolite, exigeante.
Dans son bureau, deux portraits le regardaient chaque jour : celui de Bagouet, son alter ego artistique, et celui de Frêche, son frère en vision politique. Avec eux, il formait un triptyque intime. « Montpellier Danse est tout ce que je suis », disait-il avec une émotion sans fard. Ce n’était pas qu’un poste, c’était l’engagement de toute une vie.
Un dernier salut

Son (avant-)dernière édition du Festival en 2024, avait été pensée comme un adieu. Mais même là, il souriait : « On m’a demandé de signer celle de 2025… » Comme s’il n’était jamais vraiment prêt à s’éloigner des projecteurs et de la scène. Et qui pourrait le lui reprocher ? L’œuvre est immense, et le vide désormais palpable.
Aujourd’hui, Montpellier pleure l’un de ses plus grands serviteurs. Le monde de la danse perd un regard, une voix, une silhouette inoubliable. Mais Jean-Paul Montanari laisse derrière lui bien plus qu’un héritage : un esprit, une manière d’aimer l’art avec rigueur et dévotion. Une dernière fois, le rideau se baisse, mais sa présence spectrale veillera sans nul doute sur les éditions à venir d’une manifestation qu’il n’aura jamais vraiment quittée !
Olivier Frégaville-Gratian D’amore
Montpellier Danse
45e édition
du 21 juin au 5 juillet 2025