Il s'en va de Philippe Minyana, mise en scène de Marcial Di Fonzo Bo Pascal Gély
Il s'en va de Philippe Minyana, mise en scène de Marcial Di Fonzo Bo Pascal Gély

Écritures en acte : Des vies sur scène 

Pour inaugurer la première édition de ce nouveau festival dédié aux écritures contemporaines, Marcial Di Fonzo Bo, directeur du Quai – CDN Angers Pays de la Loire, convie à une traversée des mots, des corps et des récits de vie, à la fois atypiques et bouleversants.

Installé face à l’imposant château du roi René, le Quai, telle une cité dans la ville, vibre des échos du monde. Dans le vaste hall, où trône le décor de Tango y tango, des skaters s’élancent, des spectateurs devisent autour d’un café. Les voix montent, ricochent contre les vitres, se perdent dans les cintres métalliques de la grande structure. Accueillant le public, Marcial Di Fonzo Bo invite chacun à rejoindre la salle 400.

Dans quelques minutes, débute le spectacle inaugural de cette première édition d’Écritures en acte, nouveau temps fort de la saison, imaginé pour faire entendre des textes contemporains par la voix d’un acteur ou d’une actrice. Au programme des deux semaines à venir : Arcadie mis en scène de Sylvain Maurice, Portrait d’artiste après sa mort de Davide Carnevali, Je vis dans une maison qui n’existe pas de Laurène Marx ou Une Vie d’acteur de Pierre Maillet. Mais ce soir, c’est deux voix d’Amérique latine qui se font entendre : celles de la comédienne argentine Marilú Marini et du Salvadorien Raoul Fernandez.

Le Cœur du mal de Maria Negroni © Pascal Gély
Le Cœur du mal de Maria Negroni, Mise en scène d’Alejandro Tantanian © Pasvcal Gély

Déshabillé noir, baskets roses aux pieds, l’égérie d’Alfredo Arias, 79 ans, entre en scène alors que la salle est encore éclairée. Elle scrute le public, le darde de son regard pétillant, reconnaît quelques têtes. Et de sa voix rocailleuse, chantante, empreinte de ses origines portègnes, Marilú Marini brise le quatrième mur. Elle évoque la douceur angevine, le lieu, son goût du théâtre et des autres. Le spectacle a-t-il commencé ? Peu importe. Sa seule présence, son port de tête, son regard, suffisent à captiver.

Elle s’empare des mots de sa compatriote María Negroni, traduits par Laurent Berger dans cette version française du Cœur du mal, créée en espagnol à Madrid en septembre 2023. Il y est question d’un lien viscéral, conflictuel et dévorant entre une mère phagocytante et une fille rebelle.

Installée derrière un cadre doré digne d’un tableau de maître, la comédienne déroule la vie de l’autrice, de la naissance à la mort de sa mère. Par fragments, poèmes, citations littéraires, bribes d’intimité, se dessine le portrait de deux femmes que tout oppose dans l’Argentine post-péroniste. Au-delà des anicroches et des anecdotes, le récit oscille entre amour et haine, sentiments indissociables pour María Negroni. La douleur, le besoin de plaire, le rejet, s’enlacent. Ces tensions fondent une identité, forgée à vif.

Fragile et bouleversante, cette première angevine émeut autant par ce qu’elle dit que par ce qu’elle tait. Marilú Marini donne chair à cette ode à la mère, autant aimée que détestée, jusqu’au tremblement, jusqu’au sanglot.

Il s'en va de Philippe Minyana, mise en scène de Marcial Di Fonzo  Bo  Pascal Gély
Il s’en va de Philippe Minyana, mise en scène de Marcial Di Fonzo Bo © Pascal Gély

Après cette mise en bouche intense, place au cabaret tragique, où larmes et rires s’entremêlent dans cette confession intime teintée de burlesque flamboyant. Dans ce second opus de Portrait de RaoulRaoul Fernandez revient, toujours aussi insaisissable, plus vaporeux, plus habité, moins linéaire, mais tout aussi magnétique.

Allongé sur une table, costume noir à paillettes, couronne de fleurs blanches au-dessus de lui, il gît. Mort. Ou presque. Le recueillement est de mise… jusqu’à la première saillie. Il n’est pas Sarah Bernhardt, cette folle furieuse qui dormait dans son cercueil, dit-il. Il est Raoul, ou plutôt ce Raoul aux mille visages et vies, que Philippe Minyana croque avec tendresse et malice.

Enfant frêle, habillé en fillette par sa mère avec laquelle il passe des heures à coudre dans une salle sombre pendant que la guerre ravage le Salvador, garçon fasciné par le pénis d’Antonio, réputé le plus beau d’El Tránsito, comédien qui, pour un rôle, se fait poser des seins… puis les retire dix ans plus tard pour faire les costumes d’un opéra sur saint François d’Assise.

Diva, homme, femme, peureux·se et courageux·se, chanteur·se de cabaret, acteur·trice et couturier·ère : il est tout cela à la fois. Petit de taille, immense de présence, il vit ses mille vies à la suite, et en même temps. Dans l’écrin sobre de miroirs, de rideaux rouges et noirs conçu par Marcial Di Fonzo Bo, il rayonne. Évoque une anecdote, puis une autre. Le récit ne suit pas de fil, mais une logique de poèmes fragmentés. Les numéros se succèdent, tous évoquent sa passion pour la scène, car pour lui, il n’y a pas d’autres lieux pour vivre et exister. Il a ses mots puissants et nécessaires : « Sans le théâtre, une société meurt. La société a besoin de récits, d’images, de magie, de rêves et ça depuis l’origine des temps. L’acteur salue le public, le public applaudit, c’est un rite, il faut respecter les rites… » 

Mis en scène par le directeur des lieux avec cette grâce burlesque typiquement sud-américaine, il se laisse porter par les mots de Philippe Minyana, tutoie les anges, flirte avec ses démons. Né pour le théâtre, Raoul hantera les cintres bien après sa mort. Ici, il la met en scène sans tristesse, comme une fête kaléidoscopique. Il est magnétique. Un moment suspendu,  tendre et joyeusement mélancolique.


Écriture en acte
du 22 avril au 7 mai 2025
Le Quai – CDN Angers Pays de Loire
Cale de la savatte
49100 Angers

Le Cœur du mal de María Negroni
Avec Marilú Marini
Adaptation pour la scène du roman éponyme de et par María Negroni en collaboration avec Oria Puppo et Alejandro Tantanian
Mise en scène d’Alejandro Tantanian
Conception de l’espace scénique, de l’éclairage et des costumes – Oria Puppo
Conception sonore et composition musicale – Diego Vainer
Coordination technique Théâtre Kamikaze.

Il s’en va – Portrait de Raoul (suite) de Philippe Minyana 
Mise en scène de Marcial Di Fonzo Bo
Avec Raoul Fernandez
Piano – Nicolas Olivier

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