Au dos de son sweat-shirt, l’inscription « vieux chêne » le pose comme doyen de cette assemblée et chef d’orchestre de cette partition collective. Dans un dispositif tri-frontal qui renforce la proximité, Michel Schweizer scrute le public qui s’installe avant d’énoncer les règles du jeu. Au gré des demandes, il distribue à la volée des enveloppes contenant des questions qui seront soumises, à haute voix et de manière aléatoire, aux cinq interprètes.
Un « dispositif ludique »

« Quel est votre plus grand défi en tant qu’artiste ? » À chaque représentation, les interrogations de ce « dispositif ludique » entraînent la pièce vers un équilibre mouvant. Elles fournissent à Inès, Éléna, Louise, Alexandre et Stanley prétexte à se dévoiler et à se détacher des assignations dans lesquelles les enferme la collecte de leurs données personnelles. À ce jeu-là, le début de la pièce où l’analyse du contenu de leurs smartphones conduit à un profilage caricatural est amèrement drôle.
« Qu’est-ce qui vous fait vous sentir vivant ? » Michel Schweizer tire les fils de la rencontre entre ces cinq personnalités. Il continue ainsi son exploration de la jeunesse – qui tient une place essentielle dans son parcours – et fait émerger une communauté provisoire. Ces roseaux que le « vieux chêne » vient soumettre à l’introspection se révèlent dans leur fragilité, mais aussi dans toute la vitalité de cet âge de la vie.
« Quelle est votre plus grande peur ? » Cette meute de chiens fous évacue le maître de cérémonie qui s’efface progressivement, non sans l’avoir auparavant dansé avec lui (l’un des plus émouvants moments de la pièce). À quel moment le désir d’échapper à un formatage social et artistique pour développer sa singularité naît-il ? Chaque interprète joint le geste aux mots pour dire ses faux-pas, ses espoirs, ses déconvenues.
Parole autobiographique

« Que se passe-t-il quand vous vous connectez à quelqu’un ? » À les regarder se mouvoir et s’exprimer, à laisser la parole circuler entre eux sans que chacun ou chacune ne donne l’impression d’empiéter sur l’autre, on perçoit combien danser les émancipe de cet individualisme technologique qui les menace. Sous nos yeux, « on ne me regarde pas souvent comme ça », confie Alexandre, dans un vis-à-vis qui rappelle que le regard de l’autre est l’un des piliers des relations sociales, ils libèrent leur potentiel artistique.
« Quelle conscience avez-vous du temps qui passe ? » Au fil de la pièce, ces questions résonnent aussi en chacun de nous, nous incitent à nous interroger. La parole autobiographique de ces cinq jeunes interprètes dessine une émouvante géographie de la jeunesse contemporaine. Une jeunesse déjà nostalgique d’une « enfance qui [leur] manque ».
Claudine Colozzi
Dogs [Nouvelles du parc urbain] de Michel Schweizer
Création les 27, 28 et 29 mars 2025 à La Manufacture, CDCN Bordeaux
Durée 75 mn
Tournée
17 avril 2025 au Le TAP-Scène Nationale du Grand Poitiers dans le cadre du Festival À Corps (86)
Saison 2025-2026 au CentQuatre-Paris
Dates passées
2 et 3 avril 2025 au ZEF, Scène Nationale de Marseille (13)
10 et 11 avril 2025 aux Scènes de territoire, Bressuire (79)
Conception, scénographie et direction Michel Schweizer
Avec Alexandre Blais, Elena Lecoq, Stanley Menthor, Inès Perron, Louise Phelipon, Michel Schweizer
Collaboration à la mise en scène Agnès Henry
Concepteur du dispositif ludique Christian Martinez
Accompagnement artistique Carole Rambaud
Conception sonore Nicolas Barillot
Création lumière Éric Blosse
Régie générale Yvan Labasse