Duet from A sort of... de Mats Ek © Erik Berg
Duet from A sort of... de Mats Ek © Erik Berg

Dialogues II : fragments chorégraphiques d’un discours amoureux

Dans le cadre de sa saison 2024-2025 au théâtre des Champs-Elysées, TranscenDanses a programmé une soirée de duos éblouissants. De Mats Ek à Samantha Lynch, les générations s’y répondent avec intelligence.

À quoi tient le charme d’une soirée ? Au plaisir distillé par une succession de duos contemporains qui font entendre la petite musique des relations amoureuses. De Mats Ek à Sharon Eyal, de Samantha Lynch à Akram Khan, pour le programme Dialogues II, la saison 2024-2025 de la série TranscenDanses a mis au premier plan cette composition intimiste. Éclats chorégraphiques d’une dizaine de minutes chacun, à peine commencés et déjà finis, séparés uniquement par un précipité er interprétés avec brio. Cinq bijoux de densité et de concision reliés par un fil poétique tissé entre les univers de ces quatre chorégraphes de générations différentes. « À chaque instant de la rencontre, je découvre dans l’autre un autre moi-même », écrit Roland Barthes. Difficile de trouver plus approprié pour résumer cette soirée.

Duet from A cup of coffee de Mats Ek © Erik Berg
Duet from A cup of coffee de Mats Ek © Erik Berg

À tout seigneur, tout honneur. L’octogénaire Mats Ek ouvre et referme la soirée avec deux extraits de pièces distantes de près d’une trentaine d’années. Dans ce duo extrait de A sort of…, créée en 1997,le chorégraphe suédois décrit une rencontre amoureuse à travers la découverte progressive de l’autre. Jupette et tricot jaunes accommodés de bottines pour l’une et costume un peu trop grand pour l’autre, le couple composé par Clotilde Tran du Staatsballett Berlin et Johnny McMillan, interprète chez Sharon Eyal, dégage un charme suranné.

Tous deux se cherchent avec des gestes minimalistes, parfois délicieusement incongrus comme souvent chez Mats Ek. Quand lui la renifle, la caresse du bout des doigts, joue les sales gosses en tentant de soulever sa jupe, elle fait mine de le trainer en laisse avant de le bercer comme un enfant. Leurs pas fluides se mêlent dans une valse un peu déstructurée. L’humour affleure comme pour rappeler que l’amour est une chose trop importante pour être prise au sérieux.

Est-ce le même couple plusieurs décennies plus tard que Mats Ek a voulu mettre en scène à travers ces vieux amants ? Créé pour le Ballet de l’Opéra royal de Suède en février 2025, l’extrait de A cup of tea permet de retrouver Anna Laguna, son épouse et égérie, et Yvan Auzely, son fidèle interprète, de nouveau réunis près de dix ans après les « adieux à la scène » du chorégraphe dans ce même théâtre des Champs-Élysées. Les têtes grisonnantes ne sont pas légion sur les plateaux. Cela rajoute à l’intérêt de ce face à face théâtral et émouvant où s’amusent les deux complices face aux concessions auxquelles on doit se résoudre avec l’usure du temps. Cette tasse de thé partagée n’a pourtant rien de compassée, Yvan Auzely finissant en poirier pour déguster ce breuvage !

Couch de Samantha Lynch © Erik Berg
Couch de Samantha Lynch © Erik Berg

Entre les deux pièces de Mats Ek, les surprises abondent. Au premier chef figure Couch de Samanta Lynch, danseuse du Ballet national de Norvège et chorégraphe depuis quelques années. Présenté pour la première fois en France, ce jeu de cache-cache avec un canapé – ou un divan de psychanalyse ? – comme partenaire est subtilement écrit et finement dansé par Anaïs Touret et Douwe Dekkers. Cet objet du quotidien va au-delà du lieu de confidences. Il devient un monde à lui tout seul dans lequel les danseurs se fondent puis réapparaissent. Leur synchronisation est parfaite dans ce duo qui raconte bien plus que la routine du couple.

Dansé avec la principal du Royal Ballet Natalia Osipova en 2021, puis recréé à l’Opéra d’Oslo le 3 avril 2025 pour Aishwarya Raut et Claudio Cangialosi, Mud of sorrow, signé Akram Khan, apparaît comme une respiration méditative. Il s’agit d’une revisite de Sacred monsters, sublime duo que le chorégraphe anglo-bengali dansa avec Sylvie Guillem. C’est en tous cas ce que précise le programme et permet d’éclairer ce sentiment de déjà vu. Le duo est ici montré dans une dimension fusionnelle. Evoquant un couple tantrique, les deux interprètes unissent leurs énergies masculine et féminine. La danseuse enroule ses jambes autour de la taille de son partenaire puis se penche en arrière. Leurs bras se croisent et se déplient, ondulant en parfaite harmonie, évoquant des statues de divinités indiennes. L’atmosphère et la profondeur des sentiments, amplifiées par une complainte folklorique corse, est envoûtante.

Mais le clou de cette soirée, c’est l’apparition de ces deux hommes, en collant noir, torse nu. Johnny McMillan (de nouveau) et Juan Gil s’avancent l’un derrière l’autre, sur hautes demi-pointes, comme souvent chez Sharon Eyal. Extrait de Into the hairy, pièce pour sept interprètes, ce duo masculin frappe par son étrangeté. La démarche des deux danseurs évoque des mannequins sur un catwalk, mais aussi des toréadors entrant dans l’arène. Au fur et à mesure, les images se bousculent face aux mouvements hypnotisants de ces centaures fébriles. Les mouvements très étirés, voire désaxés de cette danse virtuose en diable, libèrent une énergie vitale très contagieuse.


Dialogues II dans le cadre du programme TranscenDanses
vu le 25 avril 2025 au Théâtre des Champs-Élysées
15 Av. Montaigne
75008 Paris
Durée 1h

Duet from A sort of…
Chorégraphie de Mats Ek
Avec Clotilde Tran et Johnny McMillan 

Musique d’Henryk Górecki 
Lumières de Ellen Ruge 
Costumes de Maria Geber 

Couch
Chorégraphie et scénographie  de Samantha Lynch 
Avec Anaïs Touret et Douwe Dekkers
Musique de Georges Bizet

Costumes de Bregje van Balen 
Lumières :de Paul Vidar Sævarang

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