Tout commence par une chute. Un corps qui tombe, en silence. Celui de Benoît, artiste en déroute, qui choisit le vide plutôt que l’ombre. Restent les souvenirs, les questions, et surtout cette pile de carnets dont Geoffrey, son ami d’enfance, hérite comme autant de balises laissées dans la nuit. Des cahiers griffonnés, jetés à la hâte ou noircis avec soin, témoins d’un naufrage qu’il n’a pas su voir venir.

Les pages s’égrènent, intimes, rageuses, tendres, parfois cruelles. Elles révèlent, morceau par morceau, un être que Geoffrey croyait connaître. Un frère de cœur, un alter ego, un compagnon d’enfance dont les silences disaient plus que les mots. À travers ces fragments, Jean-Christophe Folly déploie une partition polyphonique, tissée de réminiscences d’enfance heureuse, de silences d’adulte, de cicatrices mal refermées. Un roman de chair et d’âme, qui gronde sous les mots.
À mesure que Geoffrey lit, il vacille. Ses certitudes s’effondrent, son couple avec Edith chancelle. Ce qu’il croyait être des fondations se révèle mirage. Car derrière les amitiés, les amours, se cache une réalité plus âpre : celle d’une société aux tensions larvées, aux promesses trahies. Une génération née dans les années 80, bercée par le rêve d’une France “black-blanc-beur”, fière, debout, réconciliée. Mais les désillusions s’accumulent. Le vernis craque. L’ascenseur social n’est pas le même pour tous. La couleur de peau reste un frein. Les rêves se ternissent.
La langue, nerveuse, poétique, parfois syncopée, épouse la colère rentrée, le désarroi sourd, la tendresse contrariée. On y entend une mélodie blessée, un blues de fin de nuit. Il y a du souffle, du rythme, une musicalité triste, comme un air de jazz qui s’éteint à l’aube. En se glissant dans la peau de l’autre — le Blanc à qui tout réussit — Folly signe une première œuvre intense et troublante. Un roman de vie.
Olivier Frégaville-Gratian d’Amore
Benoît Blues de Jean-Christophe Folly
Éditions Mémoire d’encrier
paru le 20 janvier 2025
259 pages
Prix conseillé 22 euros