Comme est née votre vocation de comédien ?
Clément Bertani : Honnêtement, je ne sais pas exactement ce qui m’a poussé à faire ce métier. Je n’étais clairement pas brillant à l’école, on peut même dire que j’étais mauvais élève (rires). Ce qui me passionnait, c’était le sport et la caméra HI8 de mon père avec laquelle je faisais des petits films. Un jour au collège, on m’a conseillé d’essayer le théâtre. J’y ai pris goût et je n’ai plus jamais arrêté. Ce n’était pas un truc de famille ou un rêve d’enfant, c’est juste arrivé comme ça. Ça a été une découverte progressive, une manière de m’exprimer et de trouver ma place.
En quelques mots, pouvez-vous nous parler de votre parcours ?

Clément Bertani : Plutôt classique. J’ai mis cinq ans à obtenir mon bac, puis j’ai fait deux ans au Conservatoire de Tours avant d’intégrer l’École nationale supérieure de Montpellier, dirigée alors par Ariel Garcia Valdés. Là, j’ai rencontré des metteurs en scène et des artistes importants comme Bruno Geslin, André Wilms ou Évelyne Didi. Chacun à leur manière, ils m’ont permis de me construire, de me nourrir artistiquement et humainement. Je suis sorti de ma formation d’acteur en 2010, et depuis, j’ai eu la chance de travailler quasiment sans interruption sur des projets très variés, au théâtre comme au cinéma.
Comment ce projet fou vous est-il parvenu ?
Clément Bertani : Avec Bruno que j’ai rencontré à l’école, nous avions monté avec les autres élèves, Paysage(s) de fantaisie, un spectacle intense inspiré de documentaires sur des jeunes hommes en prison en Russie et des jeunes filles enfermées dans des couvents. C’était assez violent, mais très beau. Après cette expérience, j’ai continué à suivre son travail de metteur en scène et lui mon parcours de comédien. J’ai toujours eu beaucoup d’admiration pour son travail. Il y a quelque temps, deux ou trois ans, il m’a proposé une reprise de rôle dans Le Feu, la fumée, le souffre. Une autre aventure fascinante. Pendant la tournée, il m’a parlé du texte de Werner Herzog, Sur le chemin des glaces, et m’a demandé si j’accepterais de faire ce voyage avec lui et de repartir sur les traces du cinéaste.
Ce qui m’a frappé dans ce projet, c’était à la fois sa radicalité et sa nécessité. Il ne s’agissait pas seulement de jouer un rôle, mais de vivre une expérience, de s’immerger dans un voyage qui allait marquer mon corps et mon esprit. J’ai été bouleversé par le texte et j’ai dit oui immédiatement. Il s’avère qu’avec Bruno, à cette époque, nous traversions, chacun à notre endroit, les mêmes affres que Herzog, concernant la maladie de femmes qui nous était chères. Cela a beaucoup joué sur notre complicité et sur notre manière d’aborder le projet.
Refaire le parcours de Herzog, c’est un engagement à la fois physique et intime. Comment l’avez-vous vécu ?

Clément Bertani : C’était une véritable aventure. On partait un mois sans trop savoir à quoi s’attendre. Herzog avait juste une boussole et une carte, nous avions en plus un GPS, mais on a voulu rester fidèles à son itinéraire. On dormait dans un camion qui nous attendait tous les 30 km pour recharger nos batteries de caméras, contrairement à lui qui trouvait refuge chez l’habitant ou dans des granges.
Ce qui était troublant, c’était la façon dont certains événements de son récit se sont reproduits pour nous, comme les contrôles de police aux mêmes endroits. Il y avait une vraie connexion avec son expérience. Par moments, on avait l’impression qu’il était juste devant nous, que le temps s’était plié pour nous faire vivre les mêmes émotions.
Comment ce voyage a-t-il influencé votre jeu ?
Clément Bertani : L’expérience m’a transformé. D’abord, revenir à la vie « normale » après cette marche a été un choc. Sur scène, on a mis du temps à retrouver les sensations vécues sur la route. Mais au fur et à mesure, elles sont revenues naturellement. Ce qui est fascinant, c’est que chaque soir, le spectacle se reconstruit différemment, comme si on refaisait le voyage à chaque représentation.
Le tapis de marche sur scène ajoute une dimension intéressante. Il impose un rythme qui perturbe la perception du corps et de la parole, créant un décalage entre la pensée et le mouvement. C’est une expérience à la fois physique et introspective.
Ce projet a-t-il changé votre manière d’aborder votre métier ?
Clément Bertani : Complètement. J’ai dû abandonner tout contrôle sur ce que je voulais montrer ou représenter. Il ne s’agissait pas de jouer Herzog, mais de trouver ma propre vérité dans ce voyage. Accepter ses failles, son vertige, c’était essentiel.
Cette expérience a été un tournant. Ça a changé ma perception du théâtre et du monde. Je ressens une liberté nouvelle, une manière différente d’aborder mon métier, plus instinctive et plus profonde. Et comme le dit si bien Werner Herzog dans La conquête de l’inutile : « La vie est soit mortellement en marche, soit mortellement à l’arrêt. » J’ai fait mon choix.
Propos recueillis par Olivier Frégaville-Gratian d’Amore
Sur le chemin des glaces de Werner Herzog
création le 9 octobre 2024 au Théâtre des 13 vents – CDN de Montpellier
Tournée
26 et 27 mars 2025 au Tandem, Scène nationale Arras – Douai
Dates passées
13 au 15 novembre 2024 au Festival TNB, Rennes
28 et 29 novembre 024 au Théâtre 71, Scène nationale Malakoff, dans le cadre du festival OVNI
30 janvier 2025 aux Espaces Pluriels, Pau
5 et 6 février 2025 à la Scène nationale Albi – Tarn
Adaptation et mise en scène de Bruno Geslin
avec Clément Bertani et Guilhem Logerot
scénographie de Bruno Geslin avec la collaboration de Jeff Desboeufs, Gilles Montaudié, Benoît Biou ainsi que Michaël Labat et Franck Breuil
création musicale de Guilhem Logerot, création et régie son de Pablo Da Silva, création lumières et régie générale de Jeff Desbœufs, création vidéo de Julie Pareau et Quentin Vigier, création costumes d’ Hanna Sjödin
images de Bruno Geslin, Clément Bertani
réalisation du décor : Ateliers de construction du ThéâtredelaCité – CDN – Toulouse Occitanie sous la Direction de Michaël Labat
assistant à la mise en scène – Simon-Elie Galibert
Administration, production : Dounia Jurišić